23. Le Mont 1/3 (réécrit)

372 68 44
                                    







Au matin du onzième jour depuis le départ du Comté de Bulberry, Garrett, Viola et Luiset marchaient sur le sable en direction du nord.

Le seul bruit qui trahissait une présence humaine était dû au choc du sac de la vendeuse de fleurs sur sa cuisse. Ils avaient tous les trois les traits tirés, l'œil hagard et une démarche soutenue. Ils burent dans une flaque d'eau de pluie et reprirent la route :

– Le Mont n'est plus très loin.

– Garrett, merci, dit simplement Luiset.

– Nous allons croiser quelqu'un, j'espère, dit Viola qui ne dégageait plus aucune émanation d'essence florale.

– C'est possible, la route est empruntée par les moines.

Ils se trouvaient dans les méandres de la baie. La terre était devenue sable. La beauté des dunes blanches recouvertes d'oyats verdoyants apaisa leur cœur. Ils arrivèrent sur le chemin qui suivait la côte découpée. 

– Longeons le rivage.

De nouvelles criques apparaissaient au fur et à mesure de leur avancée. Elles finirent par toutes se ressembler.

– J'ai l'impression de tourner en rond, dit Viola.

Dans un dernier virage, le sentier côtier passait à travers de hauts roseaux des sables qui dissimulaient les paysages aux yeux des trois compagnons d'infortune. Lorsqu'ils s'extirpèrent des branches, la majestueuse silhouette du Mont se dessina en face d'eux, comme une apparition divine. Il se dressait fièrement au-dessus de la mer, seulement relié par un long pont de bois vers la côte. Malgré l'immense fatigue et leur tristesse, ils contemplèrent ce joyau millénaire. Luiset rit nerveusement et sauta au cou de son amie qui l'accompagna en sautillements de victoire. Puis elle se tourna vers Garrett et l'enlaça aussi. Une fois passée l'étreinte, ils se regardèrent un peu gênés. Soudain, elle s'écria :

– Regardez, là-bas !

Plus loin, un homme se dirigeait vers le pont à bord d'une charrette tirée par deux vaches. C'était très probablement un religieux.

– Ohé ! appela Garrett du mieux qu'il put.

Mais le vent ne porta pas sa voix faible. Ils puisèrent dans leurs dernières réserves d'énergie pour rattraper le moine. Ignorant leurs pieds douloureux et leurs autres blessures, ils coururent dans les dunes pour aller plus vite. Ce ne fut qu'une fois sur le pont qu'il les aperçut. Il força les vaches à s'arrêter.

– Ohé !!! crièrent Viola et Garrett.

Ils devaient faire peur à voir. Les longues chevelures rousse et blonde des femmes étaient emmêlées, collées sur leur corps, leurs vêtements étaient mouillés et déchirés, maculés de terre et de sang. Le moine fit demi-tour pour aller à leur rencontre mais ils furent bien plus rapides. À bout de souffle, aucun des trois ne put parler.

– Mes pauvres ! Que vous est-il arrivé ? Tenez, asseyez-vous.

Malgré son âge, il descendit prestement et les prenant par le bras, les invita à prendre place sur le bord de la charrette, près des branches de roseaux entassées. Il leur prêta ensuite sa gourde.

– Tenez, buvez.

Le moine regarda aux alentours.

– Merci infiniment.

– Vous êtes dans un état...

– Nous devions nous rendre au Mont mais notre diligence a été emportée par les eaux ! expliqua Luiset.

– Nous sommes de la Forge, ajouta Garrett.

L'homme s'arrêta sur la jeune femme :

– Mais, vous êtes Luiset Madison ? demanda-t-il d'un ton grave.

– Oui...

– Nous vous attendions ! Oh ! Mes pauvres, mes pauvres ! Vite, je vous emmène au chaud ! Dépêchons-nous !

Il jeta un dernier coup d'œil au loin avant de reprendre sa place et de faire repartir les bovins. Ils franchirent le pont, s'approchant du village. Les maisons façonnées dans la roche semblaient attendre le retour de ses locataires. Luiset dégagea les mèches de son visage et leva la tête pour admirer la beauté de ce rocher immense aux habitations centenaires. Au sommet, le clocher de l'abbaye s'élevait gracieusement dans le ciel clair. Elle pensa à Anna et à sa mère, elle était sûre qu'elles auraient adoré ce spectacle. Luiset serra la feuille de hêtre, comme si elle voulait communiquer avec son père. Malgré l'état de sa cape, elle n'avait pas voulu la retirer, lui prêtant des facultés mystiques. N'avait-elle pas défié le sort lorsqu'elle avait été emportée par la vague ?

D'autres moines attendaient en bas du Mont.

– De l'aide ! héla leur frère lorsqu'ils furent presque arrivés.

Ils aidèrent à faire gravir les marches aux derniers passagers de la Forge.

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant