15. Le conte des trois logeuses 2/2 (réécrit)

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La voiture était plongée dans un silence angoissant. Antoine, mais aussi d'autres passagers semblaient vraiment choqués. L'infirmière brisa le silence :

– Ce conte est horrible !

– C'était mon histoire préférée ! dit Luiset avec entrain pour détendre l'atmosphère. Je vous l'accorde, c'est très... macabre... Mais tout en me révulsant, elle me fascinait... Enfin, c'était pour vous distraire, voilà...

– Oh, mademoiselle Luiset, vous êtes un sacré numéro, dit Anna. On peut dire que vous avez réussi.

– J'espère que tu ne vas pas faire de cauchemars au moins ? demanda Chiévée à son fils encore habité par les derniers mots de la jeune femme.

– Mais non, maman, c'est trop bien ! dit-il, sorti de sa torpeur.

L'euphorie des deux jeunes qui partageaient leurs impressions dissipa l'atmosphère pesante et même Tiam, Viola et Garrett admirent qu'ils avaient été embarqués dans l'histoire.

Quand Malty et Lieu annoncèrent une courte pause, les dames n'avaient pas terminé de boire le thé.

– Attendez, je vais la poser, proposa Anna en retirant la tasse de la main de Meadow qui s'apprêtait déjà à descendre.

– Faites attention, c'est un cadeau...

Mais malgré sa bonne intention, Anna Grimsey fit tomber l'objet en porcelaine qui se brisa sous ses yeux affolés.

– Oh...

La douce infirmière réagit tout de suite, pour ne pas embarrasser la Grimsey qui semblait sur le point d'exploser :

– Ce n'est pas grave, ne vous coupez pas surtout !

– Oh, Na, décidément !

Anna cuisait :

– Mademoiselle Luiset, je commence à en avoir marre !

– Euh...

– Votre conduite est inacceptable.

Les autres voyageurs s'éloignèrent discrètement, conscients du sentiment d'humiliation que ressentait la pauvre femme, expliquant son éclat de colère.

– Mais, Na...

– Et raconter des histoires horribles à ce bon et doux Antoine !

– Ce ne sont que des contes, mon père...

– Oui et bien votre père, parlons-en ! Pour raconter des sornettes à sa fille, il est là, pour le reste... 

Luiset bouillonnait et résista à l'envie d'exploser à son tour.

– Ce n'est pas une histoire à raconter à des enfants ! Pauvre Arsène ! Tu parles d'un père !

– Tu fais semblant, comme si Antoine t'intéressait ! Heureusement que tu n'es pas mère !!! éclata Luiset. Qu'est-ce que tu en sais Na, tu n'as jamais eu d'enfant ! Tu ne les aimes même pas !

Une claque.

La joue de Luiset se mit à brûler.

– Ne me dites plus jamais ça.

Anna avait parlé d'une voix basse, dépourvue de l'hystérie de ses reproches précédents, profondément blessée.

– Tu crois que je ne voulais pas d'enfant ? C'est plus compliqué que ça. Il y a des larmes qui ne se voient pas ! As-tu vu dans quel monde nous vivons ? Ouvre les yeux ! Je n'ai pas d'enfant, pas par égoïsme, pas par indifférence. C'est mon choix. C'est de l'amour. C'est justement parce que je l'aime déjà trop, cet enfant qui n'existe pas, que je ne veux pas l'inviter dans ce monde...

Les secondes s'écoulèrent, faisant enfler la gêne des passagers qui avaient entendu chacun des mots prononcés.

Luiset pleurait, et les larmes de sa tante tombèrent aussi.

– Na... je suis désolée...

Elle lui fit signe de se taire, incapable de prononcer d'autres mots. Ils étaient coincés dans sa gorge.

– Na...

Elle s'approcha de sa tante, plus douce et dans une position de repentir sincère. Mais Anna recula et parvint à dire :

– J'aimerais que nous ne nous adressions plus la parole aujourd'hui. Le temps de nous calmer, et d'éviter de dire d'autres choses que nous regretterons, si ce n'est pas déjà trop tard.

– Bien ! hurla Luiset, vexée avant de se précipiter dans la diligence.

La fin de la journée se déroula dans un silence de mort. Luiset essuyait discrètement ses larmes, assise à côté de Garrett qui hésitait à la réconforter. Il ne se sentit autorisé à briser le silence que pour annoncer :

– Nous voici arrivés à la maison forestière.

Les passagers se ruèrent à l'extérieur pour échapper, le temps d'une soirée, à l'ambiance pesante.

Luiset avait mis le doigt sur une blessure que sa tante avait gardé sous silence pendant des années.

Luiset Madison (Trilogie)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora