17. Jour de pluie 2/3 (réécrit)

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Dans la matinée, elle se permit d'interrompre la lecture d'Anna, lorsque la conversation des autres put couvrir leurs voix et créer une sorte d'intimité :

– Na ? demanda-t-elle timidement.

– Oui, mademoiselle Luiset, répondit-elle d'un ton neutre en levant les yeux de son livre.

Elle aurait préféré entendre le ton pincé de sa tante. Mais là, c'était comme si Anna avait abandonné ou, pire encore, qu'elle lui signifiait ne plus être importante à ses yeux. Elle ne se défila pas pour autant :

– Plus nous nous approchons du Mont, plus je suis inquiète.

– Inquiète ? Vous disiez vous impatienter de jour en jour.

Elle sembla concernée et plus douce.

– En partie, oui. Mais j'ai peur de quelque chose, sans savoir comment l'expliquer. Plus j'y pense et plus ...

– N'imaginez pas comment ce sera. Vous risquez d'être plus facilement déçue. N'y pensez pas, et vous vous laisserez porter par vos retrouvailles, le moment venu.

Luiset se mordit la lèvre et se risqua à rouvrir la blessure qu'elle avait infligée à sa tante :

– Na, pour hier...

– N'y pensons plus, dit-elle posément mais avec fermeté.

Anna Grimsey reprit la lecture de son livre, signant la fin de leur conversation. Sa nièce s'excusa et alla s'asseoir sur la banquette entre Garrett et Viola. La vendeuse de fleurs avait choisi un parfum acidulé au dosage correct, et l'estomac noué de la jeune Luiset Madison lui en fut reconnaissant. Devant la mine renfrognée de la jeune fille, l'apprenti et Viola entreprirent de lui changer les idées :

– Regardez, mademoiselle Madison, il nous reste cette portion à parcourir.

Viola montrait, sur la carte dépliée que Garrett avait mis sur ses genoux, le parcours de la diligence. Les chevaux emprunteraient la route à travers la forêt jusqu'à Génoive, puis à nouveau la forêt et ensuite le bord de mer jusqu'au Mont. Il était simplement représenté par une étoile enfermée dans un triangle sur l'eau, tout proche de la côte. Le document était une copie miniature de la grande carte accrochée au mur de la compagnie de diligences.

– Et ici, compléta Garrett, c'est le nouveau chemin que nous allons emprunter. Il est si large qu'au moins cinq diligences comme la nôtre pourraient tenir côte à côte. La Forge prévoit un grand nombre de modèles sur les nouvelles routes d'ici une dizaine d'années.

– Ce chemin nous fait gagner deux journées, c'est formidable ! surenchérit Viola.

À l'autre bout de la voiture, Chiévée de Fuller avait pris place près d'Anna.

– Dernière journée à bord, dit-elle après avoir coupé le fil de son aiguille.

– Oui. Quel dommage, j'ai apprécié votre compagnie, Duchesse.

– Soyons moins formelles, Anna, vous pouvez m'appeler Chiévée.

– Chiévée, j'espère que nous nous reverrons, avec votre fils et peut-être votre mari ?

Elle avait posé la question en espérant connaître l'identité du père d'Antoine, car la duchesse avait été bien secrète sur sa vie sentimentale. 

– Mon mari est décédé il y a quelques années.

Anna regrettait d'avoir été si curieuse. Son teint avait pris des couleurs. Elle balbutia en écorchant les mots :

– C'est... c'est tristre... strite... triste !

– Nous nous sommes remis, ne vous tourmentez pas. Nous sommes heureux Antoine et moi. Je n'ai pas beaucoup connu son père. Et lui n'en a que des mauvais souvenirs, je le crains. Mais ils commencent à s'effacer, heureusement.

– C'est un bon graçon... euh, garçon.

– Merci, répondit-elle feignant de ne rien remarquer.

Elle ajouta d'une voix lourde de sous-entendus.

– Comme votre nièce.

– Oui... ma Luiset... et son caractère ! enchaîna-t-elle avec plus d'aplomb.

– Allons, c'est normal. Mais, de grâce, réconciliez-vous vite.

– Je n'attends que ses excuses sincères et franches. Ce n'est bientôt plus une enfant.

– Elle le fera, j'en suis sûre.

Les deux femmes regardaient la jeune Madison qui discutait avec l'apprenti, la vendeuse de fleurs et Antoine. Garrett le faisait rire avec des anecdotes de son apprentissage et de ses premières erreurs. Son imitation de monsieur Totter énervé était comique. Viola profita de ce moment pour entamer une conversation plus sérieuse avec Luiset :

– Et donc votre père, mademoiselle Madison, que fait-il ?

– Je l'ai toujours connu faire des recherches aux quatre coins du monde.

– Un chercheur, comme c'est passionnant ! dit-elle impressionnée.

La voix de la vendeuse de fleurs s'entendait dans toute la voiture.

– Mais, quelle pie ! marmonna Anna Grimsey qui se leva pour rejoindre Luiset qui dévoilait d'autres détails :

– ... des recherches historiques. Et il donne des cours...

– Mademoiselle Luiset, excusez-moi, mais peut-être pourrions-nous faire une partie de dés ?

Elle semblait un peu remontée, et sa nièce ne fut pas sûre de la réponse qu'il faille lui donner. Viola Spralt répondit :

– Charmante idée, mademoiselle Grimsey !

Anna répliqua :

– Je voulais que nous finissions la partie que nous avions commencé toutes les deux. J'ai gardé la note avec nos points.

– Oh, oui, d'accord, dit-elle d'une plus petite voix, vexée.

– Na, nous pourrions faire une nouvelle partie toutes les trois ?

– Entendu. Oui, bien sûr, venez madame Spralt, lui dit-elle, poussée par une soudaine culpabilité.

– Pas de Madame Spralt, non. Viola, Viola, chanta la vendeuse de fleurs comme si Anna n'avait jamais voulu l'évincer.

Elles jouèrent toutes les trois, mais chaque fois que la vendeuse de fleurs voulait poursuivre sa conversation avec Luiset à propos de son père, Anna Grimsey détournait la discussion.

– Mais, Na, tu es bizarre...

– Je suis peut-être impolie, c'est vrai, admit Viola.

Finalement, sa tante finit par baisser la garde, consciente de la gentillesse de la vendeuse de fleurs. Elle devait voir au-delà de son attitude qu'elle réprouvait. 

– Mon beau-frère n'a pas été très présent dans la vie de sa fille, voilà tout.

Le ton était aimable mais se voulait ferme et Viola comprit qu'il valait mieux ne pas revenir sur le sujet.

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now