7. Faute de parcours 1/4 (réécrit)

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– Voici le pic des étoiles !

Garrett montrait à Anna Grimsey le sommet blanc que la diligence s'apprêtait à traverser. Une diligence qui était plus chargée que la veille, avoisinant désormais pas moins de sept tonnes, puisque deux femmes s'étaient ajoutées aux passagers déjà présents. Après le départ de l'Étoile Blanche, Malty et Lieu avaient arrêté les chevaux au relais-poste où un « déployé du Pays » attaché à la Forge organisait la venue des nouveaux voyageurs.

– Sont même pas désagréables à r'garder... avait chuchoté Lieu au cocher avant de lancer un clin d'œil aussi discret que subtil.

De fait, lorsque Garrett lut sur sa feuille de route le nom des deux clientes qui avaient réservé leurs places, Meadow Lance et Viola Spralt furent immédiatement détaillées du regard par Malty. La première était infirmière et la seconde vendeuse de fleurs. L'ambiance promettait de prendre un nouveau ton, surtout depuis l'entrée en scène de Viola qui, en guise de présentation, avait claironné à grand renfort de manières appuyées :

– Je m'appelle Viola, j'aime les violettes !

De surcroît, aucun des passagers n'avait pu échapper aux essences florales qui émanaient de la jeune bouquetière. Dès que la diligence fut repartie, Anna implora sa nièce :

– Ouvrez un peu la fenêtre, mademoiselle Luiset !

Viola Spralt ôta sa capeline et révéla une coiffure volumineuse qui descendait en boucles rousses jusqu'à son dos. Ses paupières étaient aussi roses que son long manteau. Meadow Lance était d'un tout autre genre : parée des vêtements propres à sa fonction. Elle était dotée d'une bonhomie communicative et échangeait déjà quelques mots avec le médecin. Garrett Jame réclama l'attention des voyageurs :

– Le trajet sera aussi long qu'hier mais nous voyagerons sur une plus courte distance à cause du dénivelé. Deux pauses sont prévues, une troisième sera possible en cas de besoin, mais il vaut mieux assurer notre arrivée.

– Évidemment, avait rétorqué le médecin.

– Pas de neige prévue mais gardez des vêtements chauds à proximité, il va faire encore plus froid là-haut.

Emmitouflée dans sa cape, Luiset soufflait des boules de coton dans l'air déjà glacial.

– Grâce au poêle, vous serez vite réchauffés !

– Le poêle ? demanda Viola avant de lâcher un soupir de soulagement.

Anna Grimsey et Luiset savaient que la structure en métal qui se trouvait au centre du sofa servait de chauffage. La décoration du bas de caisson dissimulait la trappe des blocs à braiser et ce qui semblait être une poutrelle était en réalité le conduit d'évacuation des fumées.

– Pourquoi ne l'avez-vous pas allumé hier soir ?

– Le système est nouveau et nous n'avons pas encore prévu d'endroit pour stocker suffisamment de blocs à braiser, expliqua l'apprenti, un peu gêné. C'est à étudier sur le prochain modèle. Donc nous ne nous en servirons que le temps de traverser la montagne, lorsque nous en aurons le plus besoin. N'oubliez pas que dans les autres diligences, ils n'ont pas encore ce confort.

Les voyageurs s'assirent plus près du poêle. Dès les premières brises chaudes, ils applaudirent, trop heureux de sentir leur corps se réchauffer. Garrett reprit ses notes :

– Et donc, cette nuit, nous dormirons au Haut-Refuge, dit-il avant de se mettre à écrire et signifier la fin de son intervention.

Quelques secondes silencieuses firent prendre conscience à chacun que la route commençait et que la journée serait longue. Ainsi, le médecin et Meadow entamèrent une nouvelle conversation pendant qu'Anna Grimsey jugeait Viola Spralt. Luiset se réjouissait de ne plus être dans le viseur de sa tante, trop occupée à s'insurger de la vulgarité de la passagère, et à s'étonner qu'une simple vendeuse ait pu rejoindre la diligence. Elle lui demanda :

– Ce sont des fleurs dans votre panier ?

– Oui, des bulbes plus précisément. Je dois amener ces spécimens au Mont pour fleurir les jardins de l'abbaye, expliqua Viola, heureuse de partager sur son métier.

– Et ce sont des bulbes de ...

– Principalement des Narcisses.

– Tiens donc, répondit Anna avec le sarcasme que Luiset connaissait si bien.

Mais la belle rousse ne réagit pas et ajouta :

– Il y a aussi des Tulipes et des Crocus.

En l'observant, Luiset se rappela un des anniversaires de son père. Elle devait avoir six ou sept ans et avait voulu ressembler aux « belles grandes dames ». Elle avait chapardé le maquillage de sa mère. Le résultat était délicieusement ridicule. Si celui de Viola était appliqué avec méticulosité, la jeune Madison admit qu'elle avait eu la main lourde.

La température devint plus élevée, Luiset et Anna regagnèrent leur banquette, là où cette dernière estimait avoir sa place.

Ce fut un incident au cours de l'après-midi qui rapprocha Luiset, sa tante, Viola et Meadow. Il survint bien après la pause-déjeuner pendant laquelle ils mangèrent à l'intérieur après avoir sorti les victuailles des trappes sous le plancher.

La voiture bravait les assauts glacés du vent et d'une fine pluie sur un chemin de terre escarpé. Soudain, un craquement assourdissant se fit entendre et le sol trembla. À peine eurent-ils le temps de comprendre ce qu'il s'était passé que le hennissement des chevaux déchira le silence et que leurs sabots s'emballèrent. La grosse voix de Malty s'imposa pour calmer les bêtes. Anna Grimsey, étouffant sa nièce dans ses bras, glapit :

– Mes aïeux !! On va mouriiir !

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant