Les Royaux

Chapitre LV- Instants

Avant que la jeune fille n'ait le temps de se jeter par la fenêtre, elle entendit la porte de sa chambre s'ouvrir. Heureusement, son cœur ne s'emballa pas lorsqu'elle réalisa qu'il ne s'agissait que de Gabriel : une nouvelle accélération de son rythme cardiaque aurait causé une attaque.

Le prince ne dit rien en apercevant l'air paniqué de son amante. Il se contenta de s'assoir à côté d'elle sur les draps, la fixant droit dans les yeux.

Gabriel avait ce talent qu'Helena adorait : il était capable de faire passer une quantité saisissante d'émotions à travers ses yeux noirs. Pas de contact physique, pas de mots... Ses seuls yeux semblaient suffire.

Ou du moins, suffisaient-ils habituellement. Aujourd'hui, Helena avait besoin de plus. De beaucoup plus. Elle ne parvenait pas à se calmer, ne parvenait pas à effacer les images cauchemardesques qui tournaient en rond dans son esprit depuis son réveil. Elle se blottit dans les bras de l'héritier et respira son odeur à présent familière, qui déclenchait en elle un flot de souvenirs récents aussi délicieux qu'affreux.

Ses mains sur ses hanches, ses traits durs alors qu'il la menaçait, sa bouche contre son cou, sa lame contre sa peau...

Helena soupira, plus perdue que jamais.

-Je n'y arriverai pas, gémit-elle dans l'épaule de Gabriel.

Ce dernier poussa un profond soupir, presque déçu par l'attitude de son amante, Elue et fausse compagne.

-Je t'en prie, ne me dis pas que je viens de perdre deux semaines de ma vie à t'entraîner pour rien.

Son ton, mi-figue mi-raisin, fit échapper un léger rire à Helena. Cependant, elle ne dit rien, incapable de répondre à la question. Elle ne connaissait pas la réponse. Ces deux dernières semaines avaient-elles été une perte de temps ? Ou Helena avait-elle réellement passé les heures les plus dures de sa vie dans une arène de sable violet dans un but précis : celui de survivre ?

Alarmé et exaspéré par le manque de réponse de la part de l'ange dans ses bras, Gabriel la repoussa et la saisit par les épaules, la forçant à croiser son regard déterminé.

-C'est très simple, Helena. Que tu te penses capable de survivre à l'Epreuve et au vote ou non, tu vas quand même te rendre dans cette arène, et tu vas quand même affronter ton frère et ton ami d'enfance. Le problème ce n'est pas ça. Le problème c'est que tant que tu n'y croiras pas toi-même, tant que tu ne seras pas persuadée que tu vas remporter la mise à l'épreuve de ma mère, je ne pourrais rien faire pour toi. Je peux être là pour te réconforter, je vais être là pour panser tes blessures... Mais tant que tu ne seras pas disposée à te battre pour toi-même, toute mon aide ne te serviras à rien. Il faut que tu te battes, que tu remportes ce vote... Tu comprends tout ça ?

Helena laissa les paroles de Gabriel s'imprimer dans son esprit pendant de longues secondes. Puis, finalement, elle hocha la tête, sa confiance en soi retrouvée. Avait-elle peur ? Oui. Assez pour en mourir ? Empêcherait-elle cette peur de la pousser vers la victoire et le déclin social espéré par Ambre ? Absolument pas.

Son regard toujours planté dans celui du prince, elle se pencha en avant et laissa leurs lèvres se rencontrer. Il répondit immédiatement au baiser, laissant les mains de la jeune ange descendre le long de ses épaules et de ses bras pour trouver ses mains.

Ils n'arrivaient toujours pas à donner un nom à leur relation, mais cette absence d'étiquette et de règles semblait leur convenir à tous les deux. Briser toutes les règles établies par les souverains leur donnait le pouvoir d'obtenir cette liberté dont ils avaient tous les deux envie. Dont ils avaient tous les deux besoin.