Chapitre LXIX- L'appel du vide

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Le jour le plus attendu de l'année était enfin arrivé. Depuis des semaines le Palais était en ébullition, mais rien n'était comparable à l'effervescence de cette journée-ci. Depuis les premières lueurs de l'aube, les servants couraient en tous sens, chargés des tâches les plus diverses. Les plus belles galeries de la Cour avaient été décorées, entièrement recouvertes d'or et de marbre coloré, les baies vitrées et les multiples fenêtres recouvertes de poudres scintillantes se reflétant en milliers de minuscules rayons sur les sols vernis. Dans cette atmosphère féérique, même la plus simple des robes resplendirait.

Le Gala de Sélection était une des seules journées de l'année au cours desquelles les Courtisans ne sortaient pas de leurs appartements. Les festivités ne commenceraient qu'en fin d'après-midi et d'ici là, des centaines de robes et de costards devaient encore être raccordés, des accessoires trouvés et des bouteilles de champagne livrées. Certains des Courtisans ne vivaient que dans l'attente de cette seule semaine, dont l'inauguration était le plus beau jour.

Pourtant, cette année-là, les Courtisans attendaient un autre évènement, qui, une fois n'est pas coutume, dépassait le Gala en importance. Le sort d'Helena Parsons n'avait pas encore été décidé. Bien qu'ayant annoncé quelques jours plus tôt que les résultats du vote seraient rendus publics dans la Gazette Royale, Jules avait fait parvenir une simple note à l'intégralité de la Cour et des invités, les informant que le vote serait finalement réalisé le soir même du Gala, permettant ainsi aux invités le souhaitant de participer à la décision finale.

Helena avait tout simplement été offerte en pâture aux Courtisans. Peu importait le résultat du vote : elle serait, quoi qu'il arrive, l'attraction principale de la soirée.

Tout du moins, c'était là l'intention du couple souverain de Skylar, mais les Caedis avaient déjà prévu de lui voler la vedette lors de la réception.

***

Helena, seule sur sa terrasse, observait le lever du soleil. Gabriel n'était pas revenu la voir la veille au soir, et elle avait passé toute la nuit à se tourner et à se retourner dans ses draps froids. Elle avait réussi à dormir quelques heures, mais depuis des semaines, le repos semblait être un luxe qu'elle ne pouvait plus se permettre.

Enroulée dans une épaisse couverture, la jeune Corneille pensait à toutes sortes de choses, sauf à la soirée à laquelle elle devait assister le soir-même. Pour la première fois depuis plus de jours qu'elle ne pouvait en compter, elle laissait son esprit vagabonder librement vers des horizons incertains. Elle songeait à son frère, qu'elle n'avait plus vu depuis des jours. Une note avait été laissée sous sa porte la veille l'informant laconiquement de la sortie de ce dernier de l'infirmerie ainsi que de son retour aux dortoirs des Corbeaux et à un entraînement intensif.

Elle pensait à Ambre, qui la détestait à tel point qu'elle avait pris le risque de saboter son Épreuve pour se débarrasser d'elle.

Elle pensait à Jade, et à ses mots énigmatiques quelques minutes à peine avant le début de son vol : survivre n'est pas toujours la meilleure solution, Helena. Des choses se préparent, et vous ne voulez pas être là pour y assister.

Elle pensait aussi à son père, qu'elle avait lâchement abandonné un mois auparavant, et auquel elle n'avait plus pensé depuis les hallucinations causées par la brûlure infligée par Jules Ischys lors de sa première soirée au Royaume.

Helena ne savait toujours pas si elle désirait retourner vivre parmi les humains, et elle savait que, quel que soit son choix, les héritiers de la Course feraient tout leur possible pour l'empêcher de quitter la cage dorée de Praesidium. Mais... dans une réalité parallèle dans laquelle elle pourrait un jour retrouver un semblant de vie normale, à quoi ressemblerait James Parsons ? À quoi ressemblerait leur vie à deux, seulement remplie par l'absence des deux êtres qu'ils aimaient le plus au monde ? Les Parsons ne s'étaient jamais remis de la perte de Sysy, et leur famille n'était jamais redevenue la même, mais pourraient-ils encore s'appeler une famillesi Helena revenait dans la maison familiale sans son frère à ses côtés ? Passerait-elle sa journée accoudée à un bar miteux avec le fantôme qui avait un jour été son père, ou laisserait-elle tout son passé derrière elle et tenterait-elle de se reconstruire une vie, sans l'héritage des Vasilia, sans le malheur chronique des Parsons ?

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