1-L'enfance

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Istran me nomma Dragonne, car dès ma naissance j'avais su imposer ma volonté. Chez les Alexi Elle, la puissance et la volonté étaient des qualités recherchées et vénérées. Istran était un puissant gardien au service personnel de la reine, de la même manière que son père l'était avant lui. Depuis que Niengard, fondateur de la dynastie des Alexi Elle, s'était marié à une gardienne et avait découvert que cela engendrait des gardiens plus puissants ; il fut interdit à tous les membres de cette famille d'épouser quiconque n'étant pas lui-même gardien. Ces mariages ainsi arrangés avaient ensuite donné vie à une descendance ininterrompue de gardiens durant trente générations. La renommée de cette famille était sans faille et ils étaient les gardiens royaux depuis que Niengard avait fondé cette dynastie. Chaque génération plus puissante que la précédente. Il était facile pour quiconque de reconnaître un Alexi Elle, tous avaient les cheveux blancs. Un blanc pur et unique, si caractéristique des gardiens de cette lignée obtenu au fil des générations car la magie, si puissante dans cette famille, avait un prix.

Et pourtant j'étais née, le corps chétif et les cheveux noirs. Lorsqu'ils commencèrent à pousser, Istran m'éloigna progressivement de lui. Le noir de mes cheveux le dégoûtait et l'effrayait malgré tout, Istran me garda dans la famille. Il espérait et réussis à se convaincre que la couleur de mes cheveux serait sa seule déception. Il força ma mère à me les décolorer régulièrement, car les cheveux blancs étaient la fierté de cette famille. Le signe que les Alexi Elle avaient eux-mêmes forgé leur destin. Pourtant je grandissais et mes pouvoirs tardaient à se développer. Ma mère tenta par tous les moyens de m'aider à acquérir une quelconque aptitude pour la magie des gardiens. Elle désespérait d'y arriver un jour, et Istran la rejetait de plus en plus. Il lui reprochait ma normalité comme-si tout était de sa faute. Lorsque j'eus trois ans et qu'aucun pouvoir ne s'était déclaré en moi, Istran répudia ma mère. Il arguait que c'était uniquement de sa faute, car aucun Alexi Elle ne peut engendrer autre chose qu'un gardien. Elle lutta et protesta, suppliant Istran de lui laisser une dernière chance de mettre au monde un gardien. Il ne voulut rien entendre. En trente générations, j'étais la seule tache sur le parfait tableau familial. Cependant sans autre héritier Istran, premier fils de sa génération, perdrait son statut dans la famille et sa place de gardien de la reine. Son frère cadet, mon oncle, prendrait sa place et tous ses privilèges. Istran refusait d'envisager cette possibilité. A contrecœur, il me garda à ses côtés, me séparant ainsi de toute source d'amour. Il engagea une nourrice pour qu'elle prenne soin de moi et peu à peu, Istran disparut de ma vie. Nous ne partagions plus rien d'autre qu'un toit. Je prenais mes repas dans ma chambre et devais me coucher rapidement avant son arrivée, afin que nos chemins ne se croisent pas.

La nourrice n'était pas spécialement méchante, au début, mais elle ne pouvait remplacer ma mère. J'étais jeune et je ne comprenais pas tout. Pour moi, mon père me rejetait et ma mère m'avait abandonné à cause de ma normalité. Ma nourrice n'était pas une élue. Mais dès les premiers jours, elle fit tout son possible pour rester le plus loin de moi. J'ai débord pensé qu'elle refusait de s'attacher à moi. Je commençais à croire que les enfants sans pouvoir étaient tous rejetés par leurs parents. Et pourtant, lors de mes rares sorties en ville avec la nourrice, je croisais des parents aimants et attentionnés vis-à-vis de leurs enfants. Je n'avais que quelques années et pourtant, vu que mes parents étaient tous deux des élus, j'en vins à la conclusion que les élus rejetaient les gens normaux. Comme s'il existait une sorte de séparation sociale, hiérarchique, raciale ou que sais-je. Je finis par avoir une vision biaisée de la réalité. Pour moi, les élus n'étaient que des gens arrogants, élitistes et communautaristes. Istran et la disparition de ma mère avaient déformé ma vision du monde. Deux années passèrent et ma nourrice se fit de plus en plus sévère. Au moindre écart, je recevais des gifles. A la moindre contradiction, j'étais privée de nourriture. Comme si, pour s'attirer les bonnes grâces d'Istran, il suffisait de me mépriser.

Lorsque j'eus cinq ans, Istran se remaria avec Ignis, une puissante gardienne dont les parents étaient eux-mêmes gardiens. Il congédia la nourrice et confia mon éducation à ma belle-mère tant qu'il n'aurait pas d'autre enfant. De par son statut de gardienne, je m'attendais à ce qu'Ignis me rejette elle aussi. Mais elle ne fit rien. Pour la première fois depuis deux ans, un adulte me tendait la main. Ignis m'offrit tout l'amour qu'elle put, dans le dos d'Istran. Ma première réaction fut de la rejeter à mon tour. Je ne croyais pas en sa sincérité. Mais Ignis persévéra, elle m'invitait à passer mes journées à ses côtés. Je la suivais durant ses déplacements et lors de ses visites à la cour de la reine. De peur que quelqu'un ne parle de nos sorties à Istran, Ignis m'habillait sobrement et me présentait comme une orpheline qu'elle tentait d'éduquer. Cependant, lorsque nous étions dans la demeure des Alexi Elle, Ignis me parait des plus belles étoffes qu'elle réussissait à trouver. Elle me répétait sans cesse, qu'un jour Istran verrait son erreur. Et qu'un jour, tout ce qui devait m'appartenir me reviendrait. Elle m'éduqua comme Istran aurait dû le faire. Elle se mit en tête de m'apprendre les bonnes manières. Elle était persuadée qu'un jour, je ferais mon entrée à la cour comme héritière des Alexi Elle, et que je devais être parfaitement prête. Je jouais la jeune fille docile, je profitais de tout ce qu'elle m'offrait, car je savais que si Istran venait à découvrir son manège, je perdrais tout. Je n'avais que cinq ans et pourtant, j'avais l'impression d'avoir vécu beaucoup trop de chose.

Le fouet : cet art méconnuOnde histórias criam vida. Descubra agora