62-Rendez-vous à Rata Sum

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Le soleil se leva mais je décidai de rester au lit encore un peu. Je n'avais pas pris de tenue particulière en venant à Rata Sum car je pensais passer quelques jours tranquille loin de toute interaction sociale. Je ne pouvais pas me rendre au rendez-vous habillée aussi pauvrement. Devais-je pour autant révéler de suite ma classe sociale ? Je finis par me lever et tourner en rond dans ma chambre. Mais qui était-il ? Sur un coup de tête, j'emballai quelques affaires et pris la direction du Promontoire. En moins d'une heure, j'étais de retour chez moi. Je me fis préparer un bain et fouillai ma penderie pour trouver une tenue habillée qui laissait entendre que je maîtrisais ma propre vie. Je mis de côté toutes les robes que Xarent m'avait offert et jetai mon dévolu sur un ensemble veste/pantalon de couleur sombre. Une fois propre et parée, je retraversai le portail et me retrouvai à errer seule au milieu de Rata Sum. L'après-midi n'était pas très avancée et je commençai à avoir faim. Profitant de la multitude d'échoppes alignées de parts et d'autres des couloirs, je me remplis l'estomac en mangeant des spécialités locales qui ne faisaient guère envie mais qui s'avéraient délicieuses. Le soleil était encore bien haut dans le ciel et je trépignais d'impatience. Je devais garder mon esprit occupé sous peine de devenir folle. Je n'arrivais toujours pas à me souvenir de cet homme. Je visitai tous les recoins de Rata Sum qui ne m'avaient pas encore révélé leurs secrets et ne pus m'empêcher de demander l'heure à toutes les personnes, créatures et golems que je croisais de peur de rater l'heure du rendez-vous. Vint le moment où je ne tins plus. Je me rendis sur la rampe alors que le rendez-vous n'était prévu que dans une heure. Mais pourquoi ne parvenais-je pas à me souvenir ? Et pourquoi étais-je aussi stressée ? Je tournais en rond sur la voie quand une main se posa sur mon épaule. Instinctivement, je me retournai en cherchant mon fouet, que je n'avais pas pris, et mes doigts se mirent à crépiter. Mais je me détendis bien vite lorsque je le vis. Il fit un bond en arrière et leva les mains en signe de paix.

- Je ne voulais pas t'effrayer.

Je calmai tant bien que mal mes nerfs et réussis à lâcher un léger sourire. Il me rendit mon sourire et baissa les mains.

- Je préfère ça. Je peux connaître ton nom ?

La banalité de la question me fit oublier mon stress et je finis de me détendre.

- Dragonne.

- Juste Dragonne ?

- Pour l'instant.

Il me tendit son bras.

- Et bien Dragonne, me suivrais-tu ? Je connais un coin un peu plus tranquille où nous pourrons nous asseoir et rattraper le temps.

Il était si sûr de lui, si confiant. Je pris son bras et nous fîmes quelques pas sans parler puis je ne pus résister à la tentation.

- D'où nous connaissons nous ?

Il s'arrêta d'un coup et éclata de rire.

- Tu ne te souviens pas de moi ? Je dois dire que je suis blessé. Tu venais me voir pratiquement tous les jours quand nous étions adolescents.

Je creusais ma mémoire mais rien n'y fit. Je ne parvenais pas à me souvenir de son visage plus jeune ou de son nom si je ne l'avais jamais su. Il semblait partagé entre l'amusement et l'affront. Il ouvrit plusieurs fois la bouche mais ne savait que dire. Puis, il agita les bras et la petite fontaine sur ma droite cessa de couler pour se transformer en statue de glace à mon effigie. Et quand je me vis ainsi représentée, je me souvins de la dernière fois que j'avais vu une statue de glace.

- L'élementaliste de la fontaine. Tu es l'élementaliste.

Je le regardai comme si je le voyais pour la première fois. Je me souvins de lui plus jeune et pus déceler dans le visage que je voyais les traits qui avaient formé le sien des années auparavant. Il sourit de nouveau.

- Heureux que tu aies réussi à te souvenir.

Nous reprîmes notre route et nous nous arrêtâmes sur des tabourets quelques mètres plus loin. Une table entre nous, je le dévisageai sans vergogne. Les Asuras qui tenaient cet endroit nous servirent un alcool dont je ne connaissais pas le nom, mais la pensée de l'importer au Promontoire me traversa l'esprit. Puis une autre pensée s'imposa.

- Comment m'as-tu reconnue ?

- Parce que je n'ai jamais vraiment réussi à t'oublier.

- Mais on ne s'est jamais vus ni parlé avant hier.

- On ne s'était peut-être jamais parlé, mais encore une fois, nous nous sommes vu tous les jours pendant des années.

- J'étais toujours cachée derrière un mur, une maison ou une colonne.

Il éclata de rire et faillis recracher la gorgée qu'il venait de prendre.

- Ça c'est ce que tu crois. Mais tu es nulle en espionnage. Et tu n'étais pas très discrète. Quand j'ai compris que tu reviendrais tous les jours, je me suis appliqué à développer mes pouvoirs de plus en plus. Je voulais t'impressionner. J'ai travaillé si dur. Puis je ne sais pas si tu as arrêté de venir ou si tu étais enfin devenu capable de te cacher décemment. Mais je dois avouer que de ne plus te voir me rendit plus triste que je ne l'aurais cru.

Je baissai la tête et me perdis dans la contemplation du verre d'alcool que j'avais entre les mains.

- Je ne supportais plus de voir des élus. Mais j'ai fini par comprendre que vos dons, n'en étaient pas forcément.

- C'est pour ça que tu es revenue ?

- Oui. Enfin, c'est un peu par hasard que je suis retombée sur toi.

- Quand tu es revenue, j'étais tellement content que cela m'a déconcentré. Mais j'avoue que retirer mon haut n'avait qu'un but.

- Mais tu ne me diras jamais lequel ?

- Te séduire. Établir le contact. Je voulais réussir à te parler. J'en avais marre de te voir juste du coin de l'œil. Je voulais savoir qui tu étais. Mais après ce jour, tu as de nouveau disparu.

- En rentrant ce soir-là, on m'a proposé un contrat de mariage. J'ai accepté et je me suis libérée. Je n'avais plus besoin d'arpenter les ruelles du promontoire.

- Tu n'en diras pas plus et tu ne souhaites pas que je te pose plus de question ?

- C'est ça.

- Dans ce cas, trinquons à nos retrouvailles totalement fortuites.

La conversation continua pendant plusieurs heures. La question de mon mariage vint et à l'air maussade que je pris, il comprit tout de suite que je ne souhaitais pas en parler. La conversation dériva après cela et ne revint jamais sur des sujets sérieux. Les heures passaient et il finit par me raccompagner devant la chambre que j'occupais dans les sous-sols de Rata Sum. Il examina les lieux d'un œil étonné.

- Vu ta manière de parler et tes vêtements, je croyais que tu avais les moyens de te payer une bien meilleure chambre.

- Mais je n'en ai aucune envie.

Nous nous embrassâmes sur la joue et il fit demi-tour, repartant d'où nous venions pendant que je refermais la porte derrière moi. Adossée à cette dernière, je réfléchis à toute vitesse. Puis sur un coup de tête, je rouvris la porte.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now