11-Nuit à la belle étoile

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               Après plusieurs minutes de marche je finis par retrouver la fontaine. Faisant un rapide état des lieux, je me rendis compte qu'elle était en réalité très proche de ma maison. Le garçon n'y était pas et la rue était pratiquement déserte, rien d'anormal à cela vu l'heure. Le soleil avait disparu derrière les hautes murailles du Promontoire mais je ne souhaitais pas retourner dans la maison ce soir. Je devrai faire face aux remontrances d'Ignis quant à mon comportement de ce matin et surtout en expliquer les raisons. Le Promontoire avait pour avantage de posséder un grand nombre de jardins et d'abris en tout genre. Rien ne m'empêchait donc de passer la nuit dehors. Je pris la direction d'un petit parc à proximité et m'étendit sur l'herbe. Les étoiles étincelaient si fort dans le ciel. Elles semblaient si éloignées et pourtant elles ne brillaient que pour nous. Je me demandais combien de temps cela nous prendrait de monter les rejoindre et même si nous pourrions le faire un jour. Perdue dans ma contemplation, je laissais le soleil s'éloigner puis disparaître complètement. Alors que la lune se levait, la température chuta de plusieurs degrés. Sans réussir à détourner mon regard du ciel, je me recroquevillai pour ne pas avoir trop froid. Je me sentais étrangement sereine, seule face à l'immensité de la voûte céleste. J'étais tellement épuisée par les différents événements de la journée que mes yeux se fermèrent malgré moi.

Je dormis jusqu'à ce qu'une goutte frappe ma joue durant les heures les plus sombres de la nuit. Pensant avoir rêvé, je n'y prêtais pas attention. Une deuxième suivit et vint mouiller mon épaule. J'ouvris les yeux, pour découvrir qu'il commençait à pleuvoir. Les étoiles avaient disparu derrière un épais rideau de nuages. Sentant qu'ils ne se contenteraient pas de m'envoyer quelques gouttes je me levai et, aidée de la lueur de quelques lointains lampadaires, je partis en quête d'un abri. J'aperçus au loin un sorte de cabane rudimentaire. Ne voulant pas me retrouver complètement trempée, je courus m'abriter. La cabane était trop éloignée pour que la lumière des lampadaires puisse m'être d'un quelconque secours, ainsi j'ouvris une grille à tâtons et m'enfonçai dans les ténèbres de l'abri. Je fis quelques pas et trébuchai, mais j'étais incapable de savoir sur quoi j'étais tombée. Toutefois, peu importait. J'étais à présent à l'abri de la pluie et cachée. Même si Istran ou Ignis envoyaient des gens à ma recherche, ce dont je doutais fortement, ils ne me trouveraient pas ici. Je m'allongeai donc dans le coin le plus éloigné de l'entrée. Et de nouveau je sombrais, car bien qu'il me soit inconnu, ce lieu me rassurait et m'apaisait bien plus que le lit que je possédais depuis ma naissance. Étrangement, les dalles composant le sol de cette cabane m'étaient plus agréables que le lit d'herbe qui m'avait accueillie peu de temps auparavant. Il n'existait qu'un seul autre endroit où je m'étais sentie apaisée à ce point. Et je n'étais même plus sûre d'y avoir réellement été car je n'avais que quelques années à ce moment-là. Les seuls souvenirs de total abandon que je possédais étaient immanquablement liés à ma mère. Je pensais me souvenir du contact de ses bras autour de mon corps frêle lorsqu'elle me prenait dans ses bras. Mais l'avait-elle réellement fait ? Istran lui avait-il laissé l'occasion de m'étreindre avant qu'elle ne disparaisse complètement de ma vie ?

Mon abri ne possédait pas de porte, ainsi je fus réveillée par les premiers rayons du soleil. J'ouvris les yeux dans un décor peu commun. Le mur circulaire de la cabane était percé d'alcôves. Certaines comprenaient des urnes, d'autres étaient vide. La pierre qui m'avait fait trébucher lors de mon entrée trônait fièrement au milieu de la cabane. Je me levais et en fis le tour. Sur la pierre étaient gravés les mots : « Hic jacet in domo Alexi Elle membra in primis gloriosae ». Je quittai le mausolée à reculons, surprise de ma découverte. En sortant du tombeau je fis face à une inscription gravée à même la pierre qui formait l'arche d'entrée : « mortuis reliqua, quamdiu vivis honore eos ». Je ne comprenais vraiment pas pourquoi cet endroit, pourtant étroitement lié à ma famille, me rendait aussi sereine. Alors que je reprenais la direction de la demeure familiale, mes pensées naviguaient en permanence entre ces deux endroits et essayait de les relier sans vraiment saisir leurs points communs. Perdue dans mes songes, le trajet retour fut rapide. Je songeai un instant à rentrer par la porte arrière mais un coup d'œil en direction du soleil m'indiqua qu'Istran devait être en train de se préparer. Rentrer maintenant augmenterait considérablement mes chances de le croiser, et c'est ce que je voulais éviter à tout prix. Avisant une petite ruelle non loin de la maison, je m'y dissimulai. De ma cachette je pouvais observer la maison sans être vue. Istran finit par sortir de la maison, je me relevai et tombai immédiatement. J'avais tellement attendu accroupie que mes jambes s'étaient ankylosées. Je me relevais en massant mes cuisses et mes mollets. Passant par la petite porte de derrière, je me faufilai dans la maison encore endormie. Un petit tour par le cellier me permit de récupérer un solide petit-déjeuner. Mon estomac, qui n'avait rien digéré depuis le déjeuner de la veille, criait à présent famine. Une fois de retour en sécurité dans ma chambre, j'ôtai mes vêtements de la veille et entrepris de me débarbouiller. Une fois vêtue proprement, je m'assis sur mon lit pour manger.

Ignis choisit ce moment pour pénétrer dans ma chambre. Le visage tiré par l'anxiété elle se détendit dès qu'elle m'aperçut, mais presque aussitôt la colère recouvrit son visage.

- Peut-on savoir où tu étais hier soir ?

- Bonjour à toi aussi.

- Réponds !

- Partie me promener. J'avais besoin de prendre l'air.

- La prochaine fois que tu comptes découcher. Préviens-moi.

Ignis s'apprêtait à refermer la porte quand je laissais tomber les restes de mon repas pour me lever d'un bond.

- Attends ! Je... Je voudrais te parler de quelque chose.

Je plaçai mes mains dans mon dos et fixai bêtement mes pieds. Après quelques instants de silence, Ignis revint dans la chambre et ferma doucement la porte derrière elle. Je commençais d'abord par lui parler de la beauté des étoiles. Ignis sentait que ce n'était pas le but de la conversation mais elle ne m'interrompait pas. Emportée par mon récit, je lui racontais comment j'avais fini par dormir dans une cabane et que j'avais découvert au petit jour que cet abri était en réalité le caveau de la famille Alexi Elle. À la fin de mon récit Ignis se leva.

- Attends-moi ici. Ne bouge pas. Je vais revenir vite.

Elle quitta ma chambre en me laissant seule debout au milieu de la pièce. Je voulus la retenir mais elle était partie si vite. Je me sentais stupide de lui avoir ouvert mon cœur, de lui avoir fait confiance. Je retournais m'asseoir sur le lit pour finir mon petit-déjeuner. Ne sachant pas ce qu'Ignis était partie faire. Peut-être serait-ce mon dernier.

Le fouet : cet art méconnuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant