44-Nécromancie

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Dölkan se redressa et m'envoya un regard courroucé.

· Peux-tu s'il te plaît prendre soin des outils que l'on te prête ? Bon... reprenons.

Terrifiée, je regardai Dölkan remettre en place les quelques mèches de cheveux qui s'étaient échappées de son impeccable coiffure et fixer son regard dans le mien.

· Il s'avère que j'ai fait une erreur. Minime mais qui a eu quelques ... conséquences fâcheuses.

Ignis me prit par les épaules et s'adressa à Dölkan sur un ton de défi. Quant à moi, je fixai mes mains comme si je les découvrais pour la première fois.

· Qu'entends-tu par erreur minime ?

· Et bien ta fille, enfin belle-fille, est en réalité une nécromante.

Dölkan parlait si calmement, comme s'il nous annonçait le retour du soleil après la pluie. Il remit son bâton dans son dos et se dirigea vers la table pour s'asseoir sur une chaise. Xarent et Danika se tenaient dans un coin de la pièce, immobiles et silencieux.

· SI je ne l'ai pas décelé plus tôt, c'est parce que ton pouvoir devait être caché. Quelqu'un l'a découvert bien avant tes trois ans, d'après ce que j'en sais, et l'a scellé au fond de ton esprit. Mais c'est un sortilège compliqué et très risqué pour la personne cible.

Je comprenais de moins en moins ses paroles et le peu que mon esprit acceptait d'entendre ne m'enchantait guère. D'après lui, un sceau avait été appliqué sur mon esprit afin d'éradiquer mes pouvoirs. Mais par qui et pourquoi ? Je ne pouvais détacher mon regard de mes doigts qui semblaient vouloir absorber toute la vie présente dans cette pièce.

· Tu ne le sauras peut-être jamais.

Dölkan me ramena à la réalité. M'extirpant du tourbillon de pensées qui m'attirait de plus en plus profondément dans mon esprit.

· Quoi ?

· Qui à placé ce sceau et pour quelle raison. Peut-être ne le sauras-tu jamais. Mais ce n'est pas le plus important pour l'instant. Ce que tu dois retenir, c'est que ce sceau n'a pas su résister à la rage que la mort de Xarent et Danika a fait naître en toi.

Dölkan parlait de rage mais était-ce réellement ce que je ressentais ? Xarent et Danika était mon univers, j'évoluais à leurs côtés tout comme ils le faisaient aux miens. Pourrais-je seulement leur survivre ? Mon regard se dirigea vers le coin de la pièce où Xarent et Danika attendaient, main dans la main. Mais qu'attendaient-ils ? Je n'avais aucune idée de la manière dont ils étaient revenus et de la manière dont ils pourraient repartir.

· Dragonne ? Il va falloir que tu réussisses à te concentrer. Tu as de nombreuses années d'apprentissage à rattraper.

En disant ces derniers mots, Dölkan regarda avec attention les cadavres vivant de mon époux et de ma fille. La journée venait juste de commencer et Dölkan s'installa plus confortablement sur sa chaise. Durant des heures, il me conta l'histoire des nécromants et la dure vie qu'était la leur. Les revenants étaient peu nombreux car rares étaient ceux qui réussissaient à revenir des Brumes, les nécromants en revanche n'avaient pas besoin de ce petit voyage. Ils naissaient comme naissent tous les élus, leurs capacités à parler aux morts leur ayant tour à tour valut d'être adulés puis persécutés. Le temps filait et Dölkan ne tarissait pas. Ignis finit par rentrer chez elle en me promettant de revenir le lendemain. Lorsque nos ventres nous indiquèrent qu'il était l'heure de manger, nous prîmes la direction de la cuisine afin de nous constituer une collation. Et ce n'est qu'à cet instant que je remarquai que tous les cadavres des domestiques, celui de Ckim et ceux des enfants, avaient disparu et le sang avec eux. Qui avait bien pu venir faire le ménage ? Et pour quelle raison ? Et de quelle manière avait-on informé les familles du décès de leurs enfants ? Mais bien vite, je fus distraite de ces questions par Dölkan qui continuait sans cesse de m'expliquer ce à quoi j'allais bientôt devoir faire face. Le dégoût et le rejet mêlés à de l'adoration et le besoin lorsque les êtres chers venaient à disparaître. Après avoir pris une maigre collation car l'appétit me manquait, Dölkan me conduisit jusqu'au jardin. Tout l'après-midi fut consacré à l'évaluation de mes capacités. Il me fit réaliser des mouvements de plus en plus compliqués en psalmodiant des phrases dans un dialecte que je ne comprenais pas toujours. En début de soirée Dölkan prit congé et je me retrouvais seule, entourée des deux cadavres vivants des êtres que j'aimais le plus au monde. Je pris Danika dans mes bras, l'embrassai sur le front et, regrettant de ne pouvoir sentir la chaleur de son corps contre mes lèvres, je la portais jusqu'à sa chambre. Je la déposais dans son lit et la recouvrit de sa couverture. Xarent me regarda, le regard vide et les bras branlants. Ne sachant quoi faire, je l'envoyai se coucher dans notre chambre pendant que je prenais la direction d'une chambre d'amis. Juste avant de refermer la porte de la chambre de Danika, je lui jetai un dernier regard. Je n'avais pas su l'aimer tout de suite mais j'aurais fait n'importe quoi pour qu'elle reste en vie. Je ne me sentais pas de dormir dans le lit où j'avais passé mes années les plus heureuses et encore moins à côté du cadavre de Xarent. Je me glissai sous les couvertures du lit d'une des chambres d'amis, cependant je ne réussis pas à trouver le sommeil cette nuit-là. Toute ma vie, j'avais espéré être une Élue pour pouvoir défier Istran, et aujourd'hui, ce vœu m'avait coûté le bonheur que j'avais si durement acquis. Xarent, l'amour de ma vie gisait dans notre lit, la gorge arrachée et l'abdomen déchiré. Danika, mon seul et unique enfant que j'avais d'abord jalousée puis aimé plus que ma propre vie, avait été assassiné dans son propre lit et était à présent allongé dans ce même lit, la nuque brisée. Ô Grenth, pourquoi t'acharnais-tu ainsi sur moi ? Je n'avais plus de larmes à verser, plus de tristesse à répandre. Je ne ressentais plus rien d'autre que de la rage à l'encontre de cet homme, de cette voix que j'avais entendue toute ma vie. De cette voix qui avait un jour prononcé les mots suivant : "Ô Dwayna, guéris-la du mal qui la ronge, chasse Grenth de son esprit et protège-la à l'avenir. Balthazar, donne-lui la force de lutter et Kormir, apaise son esprit. Melandru et Lyssa, je vous en conjure, renfermez au plus profond de son âme ce mal qui la ronge. Dissimulez à la vue de tous ce don qui n'en est pas un." Ces mots me revinrent en mémoire, je les avais entendus lors d'un demi-sommeil, au tout début de mon mariage. Je me relevai en sursaut quand ces mots me revinrent en mémoire. Je ne comprenais pas totalement le sens de ces paroles mais cet homme me connaissait. Et même plus qu'il ne l'avait laissé paraître. Après tout, il m'avait dit que je m'embellissais à chacune de nos rencontres et un mot avait failli lui échapper. Il avait dit être "le" quelque chose de Danika, comme si un lien, que je ne saisissais pas encore, existait entre eux. Cet homme avait scellé mes pouvoirs au fond de mon esprit pour revenir des années plus tard exécuter mon mari et ma fille. Mais pour quelle raison ? La nuit passa et mon esprit ne parvenait pas à trouver la réponse à cette éternelle question : pourquoi endormir mes pouvoirs et les réveiller quelques années plus tard ?

Le fouet : cet art méconnuNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ