Le fouet : cet art méconnu

56-Les erreurs de Durban

Chaka se mit à trembler et l'assemblée qui s'était formée autour de nous n'osait plus respirer.

- Tu vois Chaka, à présent que je suis en mesure de le faire, je ne fais que réclamer justice.

Durban fuyait mon regard mais lançait des regards suppliants vers Chaka. Quant à cette dernière, elle ne savait que penser. L'homme qu'elle connaissait était accusé du pire des meurtres, par moi qu'elle ne connaissait pas. En même temps, je lui avais prouvé que j'étais plus puissante qu'elle et je recommençais en gardant les trois hommes sous ma coupe depuis le début de notre conversation. Chaka se ressaisit et arrêta de regarder Durban pour se tourner vers moi.

- Nous sommes tous des meurtriers Dragonne. Chacun à notre niveau. Mais regarde-toi. Tu es venue avec trois corbeaux que tu n'as pas hésité à sacrifier lorsque tu as eu besoin de plus d'énergie.

- Si c'est là ton seul argument.

D'un claquement de doigt, je renvoyais de l'énergie dans les corps des corbeaux. Ils croassèrent en même temps, ce qui surprit l'assemblée. Je restais parfaitement maîtresse des trois hommes que je tenais sous mon pouvoir. Mes corbeaux vinrent se poser sur mes épaules et l'un d'entre eux me ramena mon fouet que je rangeai à sa place sous ma jupe. À ce moment-là je vis que ma peau écaillée continuait de saigner. Mon sang était pâle, comme s'il était trop dilué. Ma peau ressemblait à de l'écorce mais c'était le prix à payer pour m'être nourrie des arbres pendant si longtemps. Je reportais mon attention sur Chaka.

- Que tu le défendes ne m'étonne pas. Après tout, qui accepterait de croire mon histoire. Cependant, ma fille et mon mari réclament justice et c'est leur droit. Quant à moi, mon droit est celui de disposer de Durban à ma guise.

Je m'avançai vers Chaka. Je ne me voulais aucunement menaçante, mais elle eut quand même un léger mouvement de recul. Je tendis la main vers elle et lui saisit le bras. Elle tenta de se dégager mais abandonna bien vite son idée. Ma voix résonna dans mes oreilles de manière étrangement calme et mélancolique.

- Je ne te veux aucun mal. Je veux juste te montrer.

Je récupérai l'énergie qui me servait à contrôler ceux qui m'avaient tenue, qui furent contents d'être de nouveau libres de leurs mouvements. Ils s'écartèrent rapidement de moi sans un mot. Une fois encore, je vidai l'énergie que j'avais stockée dans mes corbeaux qui vinrent s'effondrer à nos pieds. Je lançai mon énergie le long de mon bras puis remontant celui de Chaka, je pénétrai son esprit. Contrairement à la dernière fois, je ne pris pas le contrôle de ses mouvements mais recherchai dans ses souvenirs le lien qu'elle avait avec Durban. Il ne me fallut que quelques secondes pour trouver ce que je cherchais. Je les vis faire connaissance, se rapprocher de plus en plus et finir par se connaître intimement. Je me retrouvai spectatrice du moment où Durban lui ôta ses vêtements pour la première fois. Et de nouveau à chaque fois qu'il la prenait, que ce soit dans leur tente ou en pleine montagne. Ces visions me donnèrent des hauts-le-cœur mais je me retins. Je sentais l'esprit de Chaka lutter contre le mien pour me cacher les maigres performances de mon frère. Mais ce n'est pas ce que je cherchais réellement. Profitant du lien que je venais de créer, j'imposai à son esprit mes souvenirs. Je lui montrai Danika lorsqu'elle était venue me chercher juste après la découverte des demandes en mariages. Je revécus avec elle, les heures de jeux dans le jardin alors qu'il y avait tous les autres enfants avec nous. Puis l'angoisse de ne pas savoir où se trouvait Xarent, la découverte de son corps déchiqueté par l'un des golems de Durban. Le carnage qu'il avait fait dans le jardin alors que je revoyais les corps de tous ces enfants mutilés. Je sentis le corps de Chaka se crisper et un malaise l'envahir de plus en plus.

- Aurais-je oublié de te dire qu'il ne s'est pas contenté de tuer uniquement ma fille ?

Sans attendre la réponse de Chaka je la menais avec moi dans le salon où je découvrais Danika sur les genoux de Durban. N'ayant que faire de ses paroles je m'attardais sur le moment où, totalement impuissante, j'avais dû regarder Durban briser le coup de ma fille. Lorsque son corps sans vie retomba sur le sol, le malaise de Chaka fut si intense qu'elle tomba à genoux. Mais je n'avais pas fini. Je lui montrai les mois qui suivirent. La découverte de mes pouvoirs, la vie de recluse que je menais accompagnée des cadavres de ma famille et enfin, la nuit où je rompis le lien, les laissant partir. Brûlant leur corps pour qu'ils reposent en paix. Je retirai mon esprit de celui de Chaka et je la vis se plier en deux, vomissant tout ce que son estomac contenait. Je m'agenouillai à ses côtés et posai une main dans son dos.

- Comprends-tu à présent que ceci est mon droit le plus strict ? Je le dois à Xarent et Danika, je le dois à toutes les femmes que Durban a brisé. Je le dois aux parents de Xarent. Mais surtout, je me le dois à moi.

Alors que je me relevais et me dirigeais vers Durban, Chaka se saisit de ma jambe.

- Attends.

Elle se releva tant bien que mal et me fit face.

- Tu ne peux pas être jurée, juge et bourreau.

- Tu as vu ce qu'il a fait. TU es le juré et le juge. Je ne serai que le bourreau.

- Dragonne. Il y a ici des enfants qui n'ont pas besoin de voir ça.

- Bien, dans ce cas. Fais les partir. Dans mes souvenirs, tu "dirigeais" ce camp.

Je reportai mon attention sur Durban qui ne savait pas à quoi s'attendre et fit un nouveau pas dans sa direction lorsque Chaka reprit la parole.

- Si je suis jurée et juge... Je t'interdis de le tuer.

Je lâchai un râle d'exaspération et commençai à m'imaginer les étriper tous les deux. Mais je fis quand même demi-tour pour faire face à Chaka une nouvelle fois.

- Aurais-je mal entendu ?

- Dragonne. Durban est responsable d'un grand malheur dans ta vie. Mais ici, il a fait tellement de bien.

- Du plus grand malheur. Sais-tu ce qu'il m'a répondu lorsque je lui ai reproché la mort de Danika ? Que je pouvais trouver un autre mari et avoir d'autres enfants.

Chaka baissa la tête. Et prit une profonde inspiration.

- Veux-tu faire vivre à une autre ce que tu as vécu ?

Je la détaillai du regard et je compris bien vite où elle voulait en venir. J'étais seule survivante de cette tragédie et je m'apprêtais à reproduire le même schéma. Je bouillonnais de rage à son encontre. Ma rage se transforma en éclairs incontrôlables qui recouvrirent l'intégralité de mon corps, profitant de chaque fissure dans ma peau pour se révéler. Alors que je m'énervais de plus en plus, Chaka se jeta devant Durban, comme si son frêle petit corps pouvait empêcher quoi que ce soit. Mais avant que je ne réagisse, Danika apparut de nouveau. Entre eux et moi cette fois. Ma précieuse petite fille. Je dirigeai toute ma puissance vers la terre et me déchargeai de toute ma haine. Un genou au sol je tendis les mains pour la prendre dans mes bras mais une fois encore, elle s'évapora sans que je puisse la toucher. Je me retrouvais face à Durban et Chaka dans les bras l'un de l'autre. Je me relevai et disparus à l'intérieur de la tente avant que quiconque n'ait pu dire ou faire quoique ce soit.