32-Le devoir d'Aînée

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Alors que nous déjeunions en tête à tête sur une terrasse, un domestique apporta une missive à Xarent qui ne me laissa pas la lire. Il m'informa d'un air grave qu'il était temps pour nous de rentrer, prétextant que des négociations pour l'entreprise nécessitaient sa présence. À voir son air soucieux je commençais à me poser des questions. Nous finîmes, rapidement et dans le silence le plus complet, notre déjeuner pendant que les domestiques avaient été envoyés empaqueter nos affaires. Moins d'une heure après la réception de la lettre, nous nous tenions face aux portails. Xarent se renseignait pour savoir lequel nous ramènerait au Promontoire et je regardais avec envie les deux derniers portails que nous n'avions pas traversés. J'espérais que nous pourrions un jour prochain reprendre notre voyage où nous l'avions arrêté. Xarent revint vers moi et prit ma main sans un mot. Il nous guida vers le portail le plus à droite et nous fit traverser sans séparer nos mains.

Nous étions de retour au Promontoire. De retour à la maison. Les domestiques arriveraient plus tard dans la journée avec nos bagages, le temps pour eux de régler les derniers détails de notre départ précipité. Alors que je commençais à prendre la direction de notre maison, Xarent en prit une autre sans me lâcher. Nous traversâmes le Promontoire jusqu'à ce que je reconnaisse le quartier dans lequel j'avais grandi.

- Xarent, pourquoi allons-nous chez mes parents ?

Il s'arrêta et pour la première fois depuis la réception de la lettre, Xarent plongea ses yeux dans les miens. Il attrapa ma tête entre ses mains et me fixait d'un air triste.

- Dragonne. Nous sommes rentrés plus vite parce que ton frère a un problème. Je n'en sais pas plus.Aëryk...

Je me dégageai de son étreinte et, relevant mes jupons, courus en direction de la maison des Alexis Elle, imaginant le pire. Je n'osais croire qu'Istran pouvait lever la main sur lui. Aëryk était la clé de sa réussite. Sans lui, il perdait tout. J'entendais Xarent courir derrière moi. Arrivée devant la porte, je ne pris pas la peine de frapper et pénétrait comme une furie dans la cour intérieure. Sans m'arrêter, je me dirigeai vers la chambre d'Aëryk sous les salutations des domestiques. J'ouvrai la porte à la volée pour découvrir Aëryk allongé dans son lit et la tête recouverte d'un bandage. Ignis était à son chevet ; elle releva la tête d'un coup à mon entrée. Elle se précipita vers moi alors que je m'approchais du lit.

- Il va bien.Je ne crois pas.Dragonne, excuse-moi d'avoir écourté votre voyage. J'étais inquiète. Mais ça va mieux.

- Explique-moi en quoi. Aëryk est allongé sur ce lit, je ne le vois pas respirer et il est censé aller bien ?

- Ton père a voulu l'emmener à la cour pour commencer à lui enseigner notre métier.

- Mais il n'a que douze ans !

- Penses-tu que je sois restée assise à ne rien faire ? On ne peut pas négocier avec ton père. Et Aëryk voulait absolument y aller. La journée s'était bien passée et ton père était fier de lui. Tu l'aurais vu, il souriait et Aëryk bombait le torse et se pavanait. Mais un groupe de séparatistes décida d'attenter à la vie de la reine précisément ce jour-là. Ton frère s'est retrouvé au milieu des tirs. Il a pris un éclat dans l'œil. Quand je t'ai envoyé la lettre, les physiciens n'étaient pas sûrs qu'il s'en sorte. Mais c'était il y a deux jours. Nous ne savions pas exactement où vous étiez et j'ai pensé.... J'ai pensé, que si c'était ses derniers instants... Tu aurais pu avoir envie de lui parler.

Je me dégageai de ses bras et vins m'asseoir doucement sur le bord du lit d'Aëryk. Je le regardais, tout petit dans ce grand lit et me remémorait nos jeux.

- Petit fou. Tu es si courageux et pourtant si fragile.

Je caressais ses cheveux d'une main distraite pendant qu'Ignis me rejoignit. Elle posa une main sur mon épaule et l'autre sur le torse d'Aëryk. Nous restâmes dans cette position pendant plusieurs heures. Échangeant des banalités, offrant à Aëryk notre soutien. La nuit commençait à tomber. Je ne voulais pas me retrouver dans la même maison qu'Istran alors je pris congé et regagnai ma propre demeure.

Lorsque j'arrivai, Xarent m'accueillit à bras ouverts et je courus me réfugier dans cette étreinte.

- Comment va ton frère ?Il va s'en sortir. Il est encore très faible, mais il va survivre. Dwayna soit louée ! J'ai craint que nous n'arrivions trop tard.Il a perdu un œil.Mais pas la vie. Dragonne, cette épreuve le rendra plus sage avec le temps.

Xarent prit ma tête d'une main pendant qu'il desserrait notre étreinte.

- Et puis, les cicatrices font le charme des héros.

Je frappai son torse sans grande conviction entre rire et pleurs. Je replongeai dans ses bras, à la fois heureuse que mon petit frère respire encore et emplie d'une forte colère à l'égard d'Istran.

Les jours passèrent et je laissai Xarent gérer notre entreprise pendant que je passais mes journées au chevet d'Aëryk aux côtés d'Ignis. Je n'avais que faire de toutes ces questions financières tant que mon frère n'aurait pas ouvert son œil. Il lui fallut trois jours pour le faire, et trois de plus pour réussir à recouvrir assez de force pour se lever. Nous l'aidions à atteindre le rebord du bassin de la cour intérieure et y restions assis de longues heures. Aëryk contemplait sa cicatrice qui lui barrait le front dans l'eau de la fontaine et je restais assise face à lui.

- Dragonne... Tu penses que je pourrai encore devenir un gardien ?

- Pourquoi ne le pourrais-tu pas ?

- Je n'ai pas été capable de me défendre, comment je pourrais défendre la reine ?

Sentant toute la détresse qui émanait de cette question je m'empressai de le serrer contre moi. Ma colère envers Istran grandit. Aëryk savait ce qui l'attendait s'il n'était pas capable de reprendre le flambeau familial et aucun enfant de son âge ne devait connaître le rejet de ses parents.

- Papa me fera comme à toi ?

- De quoi tu parles ?

- Est-ce qu'il va me frapper et me jeter en dehors de la maison ?

La stupeur prenait la place de la colère dans mon esprit alors que j'étais incapable de bouger ou même de penser. Je tombai à genou devant Aëryk en le maintenant par les épaules. Il était si petit quand Istran avait levé la main sur moi, comment pouvait-il s'en rappeler ? Des larmes coulèrent sur mes joues pour la première fois depuis un an. Je me promis de ne jamais le laisser tomber, de ne jamais l'abandonner comme ma mère l'avait fait et surtout de ne jamais rien attendre de lui.

- Dragonne, tu pleures ? Je t'ai fait mal ?

- Aëryk regarde-moi dans les yeux. Si Istran ose lever la main sur toi, s'il te rejette d'une quelconque manière. La Tyrie toute entière ne suffira pas à le protéger de ma colère. Tu deviendras le plus puissant gardien de la Tyrie, si c'est ce que tu souhaites. Nul ne te forcera à faire quoi que ce soit contre ton gré sois en sûr. Je le réduirai en cendres s'il essaye.

Aëryk se jeta dans mes bras et pleura toutes les larmes de son corps pour finir par s'endormir. Je caressai affectueusement sa tête et le regardai dormir, épuisé par tout ce qu'il venait de traverser. Je le portai jusqu'à son lit en regrettant qu'il soit si lourd et le bordai. Il semblait si fragile, lui avais-je ressemblé un jour ? Une fois encore, je quittais la demeure avant le retour d'Istran. Je ne voulais en aucun cas le croiser, aujourd'hui encore moins qu'hier. De retour dans ma demeure, je trouvais le salon vide. Je visitai toutes les pièces et interrogeai les domestiques, Xarent était sorti négocier des contrats. Personne ne savait quand il reviendrait. Je voulais un peu de réconfort de la part de mon époux mais après tout, lui aussi devait gérer des problèmes. Exténuée par ma journée, je décidai d'aller me coucher au lieu de l'attendre.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now