18-Jour J

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Les lettres de refus avaient à peine été envoyées que tous le Promontoire était au courant de mes fiançailles avec Xarent. Officiellement je n'avais pas mis les pieds à la cours depuis plus de dix ans. Et pourtant tous les nobles feignaient de me connaître intimement. Alors que la cour s'attardait sur le moindres de mes mouvements, je faisais en sorte de rester cachée le plus possible. Je me sentais épiée. Je ne pouvais même plus sortir déguisée dans le Promontoire car les domestiques des familles les plus influentes surveillaient sans cesse la maison. Alertée par toute cette agitation, la reine demanda officiellement que je lui sois présentée. Peu importe le rang, lorsqu'il s'agit d'une demande officielle de la reine, il est malvenu d'imaginer pouvoir refuser. Et c'est ainsi que je me retrouvai aux aurores, affublée d'une robe crème qui m'empêchait de correctement me mouvoir, à attendre devant les appartements de la reine. Pour la première fois, je pénétrai dans le palais royal. L'opulence de richesses qui encombrait le château m'écœura tout de suite. Les murs étaient recouverts de tableaux, des lustres en cristal tombaient du plafond et reflétaient la moindre source de lumière. Nous traversâmes un grand nombre de couloirs et d'antichambres avant d'arriver dans le petit salon privé de la reine. La reine nous attendait assise sur un guéridon, à peine vêtue d'une robe de chambre couvrant sa chemise de nuit fine. Lorsqu'elle nous vit arriver, elle sourit à Istran mais son attention restait rivée sur moi.

- Istran ! Voici donc ta fille ? La fameuse Dragonne dont tout le monde parle dernièrement ? À tel point que les gens continuent de chuchoter lorsque j'entre dans la pièce.

Istran s'inclina respectueusement et profondément. Je l'imitai dans une moindre mesure. La reine fit un geste négligé de la main.

- Pas la peine. Nous ne sommes pas en visite protocolaire. Dis-moi, Dragonne. Quel âge as-tu ?

- Seize ans. J'ai seize ans, votre altesse.

- N'es-tu pas un peu jeune pour te marier ?

Prise au dépourvu, je me retournai vers Istran. La reine dut sentir mon malaise car elle posa sa main sur mon bras et se mit à rire. Son rire était cristallin et si beau qu'il me détendit.

- Ne réponds pas. C'est une question piège. Istran, laisse nous un instant je te prie.

Istran ouvrit la bouche pour répliquer mais la reine le fit taire d'un simple regard. Il s'inclina et quitta la pièce. La reine, qui tenait toujours mon bras, m'entraîna vers le guéridon et me fit asseoir à ses côtés.

- Bien, maintenant qu'Istran ne peut plus te museler, nous allons pouvoir discuter. Les nobles pensent qu'ils ont beaucoup de secrets pour moi mais, la vérité, c'est que rare sont ceux qui en ont. Je ne prétends pas tout connaître de toi. Mais je connais ton histoire dans les grandes lignes. Ce qu'Istran ignore c'est que ta mère était une de mes amies très proches. Je n'ai rien pu dire lorsqu'il la répudia ni durant les années qui ont suivis. Aujourd'hui, quand je vois comment il t'a traitée, je le regrette. Je n'ai pas le pouvoir d'imposer quoi que ce soit, mais sache que Xarent ne te traitera jamais mal. Je l'ai vu grandir à la cour, c'est l'un des êtres les plus doux qu'il m'ait été donné de rencontrer. Ne le punis pas juste pour blesser Istran. Tu risquerais de te faire plus mal à toi qu'à lui.

- Vous connaissiez ma mère ? Comment s'appelait-elle ?

Un voile de tristesse recouvrit le visage de la reine. Un domestique vêtu d'une grande redingote noir entra dans le salon.

- Votre altesse. Puis-je vous rappeler que vous avez rendez-vous avec l'ambassadeur de l'Arbre Clair dans quelques minutes.

La reine hocha la tête et se leva.

- Dragonne, je dois te dire au revoir. N'hésite pas à revenir. Istran connait la sortie.

La reine quitta la pièce par la porte par laquelle était entré le domestique. J'étais seule dans le salon, assise sur le guéridon de la reine dans une robe qui ne me convenait pas, à jouer un rôle qui me seyait encore moi. Mais que pouvais-je faire ? À cet instant, j'avais l'impression d'être redevenue la petite Dragonne qui du haut de ses neuf ans, pensait qu'affronter un dragon ancestral n'était rien comparé à un affrontement avec Istran. Je redoutais de me lever et d'ouvrir la porte qui me mènerait à lui. Cependant, une fois de plus, je n'avais pas le luxe de pouvoir choisir. Je me levai et ouvris la porte. Istran ne m'accorda qu'un bref regard avant de prendre la direction de la sortie. Je le suivis quelques pas en arrière, silencieuse comme toujours.

Les jours se transformèrent en mois et le temps fila. Istran et moi passions de plus en plus de temps ensemble. Il voulait m'apprendre les règles du commerce et de la négociation. Ignis essaya de me rappeler les règles de la cour et comment en tirer avantage. Xarent venait régulièrement me voir, il essayait de me faire pénétrer dans son monde. Il semblait si passionné, que c'en devenait écœurant. Par moment, son regard pétillant et son corps musclé faisait faillir ma détermination. Par moment, il me rappelait le bel élémentaliste près de sa fontaine. Avec toute la douceur dont j'étais capable, j'essayais de décourager Xarent, de lui montrer qu'une vie avec moi équivaudrait à l'enfer sur terre. Je refusais de lui briser le cœur devant l'autel, devant tous ces gens. Mais il s'accrochait, trouvant ma rébellion attirante. Mes premières tentatives ayant échoué, j'entrepris de l'ignorer. Je m'éclipsais le matin et me baladais dans les rues du promontoire comme je l'avais si souvent fait auparavant. Posant jours après jours des lapins à Xarent. Et jour après jour, il revenait et passait plusieurs heures avec Aëryk, lui permettant de développer se pouvoirs et l'attrait d'Istran à leurs égards ne cessait d'augmenter. À chacun de mes retours Istran tentait de m'effrayer et de me punir. Mais je n'étais plus une enfant apeurée. Je lui tenais tête et au bout de plusieurs jours il arrêta. Il n'avait plus aucune emprise sur moi. Je n'avais plus peur de lui. Je me sentais enfin libre pour la première fois de ma vie. Et en même temps, je ne savais plus quoi faire. À eux trois, ils occupaient tout mon temps et avant que je n'ai eu le temps de vraiment réfléchir à ce mariage et à la réponse que je donnerai à Xarent, le jour J arriva. Les présents de mariage s'entassaient dans la cour intérieure. Ma robe était prête depuis plusieurs semaines, suspendue dans ma chambre, elle attendait son heure.

Le jardin de la ville haute fut nettoyé, les plantes taillées et des chaises furent alignées face à une arche de fleurs placée devant le palais de la reine. Le matin du jour de mon mariage, Istran et Aëryk partirent de bonne heure afin d'accueillir les invités. Ignis resta seule à mes côtés, tandis que les domestiques me réveillèrent tôt. Ils me préparèrent un bain chaud et relaxant, m'aidèrent à enfiler ma robe et coiffèrent mes cheveux. Des bijoux vinrent orner mes mains et ma tête. Pour finir, un voile de dentelle fut déposé sur ma tête. Lorsque je fus prête, Ignis m'accompagna dans les quelques rues me séparant de la ville haute. Arrivée à l'entrée de la ville haute, nous nous arrêtâmes sous l'arche, qui donnait sur l'allée créée par la disposition des chaises. Un trône modeste était posé au premier rang. D'où j'étais je pouvais voir la reine qui y siégeait, attendant mon arrivée. Xarent se tenait sous l'arche de fleurs, occupé dans une conversation agitée avec un noble. Aëryk se tenait à ses côtés. Mon frère et héritier de la famille Alexi Elle serait mon témoin. Ignis me saisit par les épaules et me força à la regarder dans les yeux.

- Dragonne. C'est ta dernière chance. Si tu remontes cette allée, tu ne pourras plus faire demi-tour et refuser ce mariage. Mais si tu fais demi-tour maintenant. Si tu retournes à la maison. Je te soutiendrai. Je négocierai à tes côtés. Je ne laisserai pas Istran me dicter ma conduite. Pas cette fois. Je te soutiendrai quel que soit ton choix.

Je tournai la tête en direction de l'allée. Xarent riait aux éclats avec un autre noble. Istran regardant dans ma direction, remarqua ma présence et descendit l'allée pour me rejoindre. Ignis reprit son discours avec précipitation.

- Dès que ton père sera là, tu ne pourras plus reculer. Choisis Dragonne. Et choisis bien.

Istran s'approchait. Le regard d'Ignis pesait sur moi. L'heure fatidique approchait, et avec elle la décision la plus importante de ma vie. Je fermai les yeux et inspirai profondément.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now