36-Fin de la vie à deux

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            Nous retournâmes à la maison ensemble ce soir-là. Main dans la main et heureux. La vie reprit de nouveau son cours mais cette fois-ci, Xarent et moi partions travailler ensemble. Les affaires se portaient bien, et nous prîmes rapidement la décision de ne gérer nos affaires qu'uniquement le matin ; l'après-midi était consacré à de longues promenades dans les rues du Promontoire et les jardins de la ville. J'avais l'impression de revivre. Deux mois s'écoulèrent ainsi paisiblement. Je n'étais plus angoissée et profitais pleinement de chaque instant, puis nous dûmes nous rendre à l'évidence qu'une chose avait changée. Nous n'étions plus seuls. Je me sentais de plus en plus bizarre et un matin, je finis par me rendre compte que notre vie allait radicalement être modifiée. La tête au-dessus de la cuvette des toilettes, je vomissais mon petit-déjeuner pour la troisième fois en trois jours. Xarent tenait mes cheveux et me massait les épaules alors que d'affreux hauts-le-cœur me soulevaient la poitrine. Le doute planait dans mon esprit et les conclusions des médecins le confirmèrent. J'attendais un enfant. Cette nouvelle me fit réfléchir à tous les aspects de notre vie. Nous profitions de chaque instant sans nous soucier réellement du lendemain. Étions-nous prêts à fonder une famille ? Serions-nous capables de nous en occuper correctement ? Serais-je une bonne mère ? La mienne avait disparu alors que je n'avais que trois ans. Ignis, bien que très gentille, restait ma belle-mère. Serais-je capable d'assumer une telle responsabilité ? Ou fuirais-je comme elle ? Toutes ces questions embrumaient mon esprit durant l'intégralité de la grossesse. Les journées étaient devenues un vrai calvaire pour moi. Je me sentais gonfler de partout, ventre, pieds et poitrine. J'eus droit à tout un tas de traitements à base de plantes ou de soins magiques, soi-disant pour nous aider le bébé et moi. Je voyais mon appétit grandir proportionnellement à mon ventre et pourtant, j'étais incapable de manger tant les nausées étaient violentes. Les derniers mois ne furent qu'inquiétudes et tourments. Xarent faisait de son mieux pour me rendre la vie plus facile mais par moment son inconditionnel confiance en nous m'exaspérait. Il avait toujours le sourire et passait son temps à lister tout ce dont nous allions avoir besoin. Un jour, je finis par extérioriser toutes mes pensées.

· Comment peux-tu être aussi joyeux ?

· Tu ne l'es pas ?

· Ma mère m'as quitté à l'âge de trois ans et mon père est loin d'être un exemple de paternité. Enfin pas avec moi.

Xarent s'approcha de moi et me prit dans ses bras.

· Tu as peur. Peur de ne pas réussir là où tes parents ont échoué. Mais je suis là moi. Mes parents ont fait des erreurs et nous en ferons aussi mais cet enfant sera heureux avec nous. Je l'aime déjà comme un fou et je suis sûr que rapidement tu finiras par l'aimer. Je dois régler quelques problèmes avec la société. Mais je reviens vite.

Xarent m'embrassa et disparut derrière la porte, me laissant seule avec mon ventre qui ne cessait de s'arrondir. Je me regardai dans le miroir et, soulevant les pans de ma veste, j'étudiai mon ventre sous tous les angles.

· Il ne reste que toi et moi. Tu penses que je peux y arriver ?

Je faillis perdre mon équilibre alors qu'un coup m'était donné de l'intérieur. Je me retins à une commode et tenait fermement mon ventre le temps que je comprenne ce qui venait de se passer. Le bébé bougeait. Ou peut-être me répondait-il ? Je décidais d'en avoir le cœur net.

· Tu penses que je pourrais être une bonne mère ?

À nouveau, je ressentis un coup. Mais cette fois-ci j'y étais préparé. Je me mis à sourire en pensant qu'un si petit être avait déjà une énorme confiance en moi. J'enserrai mon ventre comme pour le câliner. Je restai assise dans un fauteuil toute l'après-midi à parler avec lui de tout ce qui me passait par la tête et je ne vis pas le temps passer. Xarent rentra et me trouva plus sereine qu'à son départ. Les jours passèrent et je m'arrondis de plus en plus si cela était encore possible. Les nausées cessèrent au début de mon troisième trimestre de grossesse. Mais en échange, l'enfant s'agitait tellement que je reçus tout un tas de coups peu agréables. Ignis et Aëryk venaient me voir pratiquement tous les jours. Il continuait de grandir et d'embellir malgré son œil manquant. Il avait très vite su s'adapter et n'avait rapidement plus eu besoin d'aide pour effectuer les tâches courantes. Istran recommença à l'amener à la cour contre l'avis d'Ignis, cependant Aëryk avait retenu la leçon, il était extrêmement vigilant. Les premières fois, il sursautait au moindre bruit puis, il finit par se détendre un peu et devint plus à l'aise. Les jeunes filles de la cour lui faisaient toutes du charme. Du haut de ses quatorze ans, il était fort séduisant et surtout, il était le seul héritier mâle de la branche aînée des Alexi Elle. Lui et Ignis passaient l'après-midi à me changer les idées, à me raconter les potins de la cour car j'avais de plus en plus de mal à sortir. Les paris allaient bon train sur le sexe de mon enfant. Toute la cour était convaincue que c'était un garçon vu la difficulté de ma grossesse. Personnellement, je chargeais l'un de mes domestiques de parier le contraire anonymement. Je savais que les femmes de ma famille pouvaient être plus retorses que les hommes.

Plus le terme approchait, moins je dormais. J'avais pris l'habitude d'errer dans la maison sans but. Les domestiques et Xarent s'efforçaient d'apaiser mon sommeil mais rien n'y faisait. Les médecins ne pouvaient pas me droguer à cause du bébé et toutes les attentions de Xarent ne servaient à rien. L'approche de la date fatidique réveilla mes angoisses et je passais de longues heures debout devant la fenêtre à regarder l'agitation de la ville et les enfants courir dans tous les sens pendant que je tordais mes doigts. L'accouchement m'horrifiait, j'avais peur de ne pas survivre ou que le bébé ne le puisse pas. S'il venait à avoir le moindre problème Xarent serait dévasté et je ne savais pas ce qui m'arriverait. Puis vint le moment des premières contractions. Comme à mon habitude, j'arpentais les différentes pièces de la maison et une douleur vint déchirer mon ventre. Sous le coup de la surprise, je tombai à quatre pattes. J'attendis quelques instants mais la douleur avait disparu. Je me relevai et fis quelques pas quand elle revint, plus puissante. Le jour se levait et les premiers rayons du soleil perçaient à travers les fenêtres. Les douleurs ne revinrent pas de toute la matinée et je finis par les oublier. Nous partîmes travailler et alors que j'apportai des dossiers à Xarent, la douleur revint. J'en fus tellement surprise que je laissai échapper une sorte de hoquet tout en faisant tomber la pile de papiers que j'avais dans les mains. Xarent se précipita dans le couloir pour voir ce qui se passait. Découvrant les papiers éparpillés sur le sol autour de moi pendant que je maintenais fermement mon ventre, Xarent s'inquiéta de mon état.

· Dragonne ? Ça va ?

· Je ne sais pas.

Et à cet instant, une autre contraction arriva. De nouveau, une grande douleur s'empara de mon corps et un cri s'échappa de mes lèvres. Xarent se précipita pour m'empêcher de tomber et alors qu'il me soutenait, je compris.

· Il arrive.

· Quoi ?

· Le bébé arrive.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now