45-Lanière de cuir et éclairs

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Le lendemain, Dölkan arriva de bonne heure et recommença à m'enseigner l'art de la nécromancie. Le temps passait et les jours devinrent un mois. Mes pouvoirs se développaient rapidement, comme s'ils essayaient de rattraper le temps perdu. Mais ma magie restait instable, et Dölkan m'intimait de trouver rapidement un objet qui me permettrait de canaliser mon énergie. La majorité des élus possédaient un bâton même si les guerriers et les gardiens avaient plutôt tendance à se lier à leurs armes. Dölkan me conseillait de choisir un objet qui m'était lié depuis l'enfance pour que la connexion soit puissante. Cependant, je n'avais rien qui datait de cette période auquel j'étais particulièrement liée. Xarent et Danika eurent interdiction de sortir de la maison, pendant que je vivais de plus en plus recluse. Seuls Dölkan et Ignis avaient le droit de pénétrer dans la demeure. La nouvelle de l'hécatombe qui avait eu lieu finit par se répandre et la reine elle-même se mit en deuil. Elle voulut venir me rendre visite mais Ignis réussit à la convaincre du contraire. Je retrouvais un semblant d'équilibre et d'apaisement à regarder Danika courir dans le jardin. Elle ne parlait plus, ni n'émettait le moindre son avec sa gorge cependant, je pouvais toujours la regarder évoluer. Ma petite fille ne changeait plus, mais elle restait auprès de moi. Chaque jour, Dölkan revenait pour m'enseigner à chaque fois de nouvelles choses et chaque jour, juste avant de partir, il me répétait ces mots : "La magie est éternelle mais pas la chair." Et chaque jour, je refusais de l'entendre et de le croire. Lorsque Dölkan n'était pas là et que je ne regardais pas Danika jouer dans le jardin, mes journées se résumaient à errer sans but dans les longs couloirs de la maison. Les familles des domestiques morts avaient été grassement dédommagées et de nouveaux avaient été engagés. Effrayés par moi ou parce que quelqu'un leur avait déconseillés de me déranger, ils faisaient en sorte de troubler le moins possible le silence de la maison. Ils craignaient de révéler leur présence et de ce fait, de subir mon courroux. Mais ce que j'exécrais par-dessus tout, c'était justement ce silence. L'absence de voix, la disparition du rire de ma magnifique fille. Les corps de Xarent et de Danika « vivaient » en quelque sorte mais ils n'émettaient pas le moindre bruit. Postée près d'une fenêtre, j'écoutais les bruits de la ville. J'enviais la tranquillité d'esprits de ses habitants. Je sentis une main glacée enserrer mon épaule. En tournant la tête, je découvris Xarent qui me regardait. Je voulais penser qu'il le faisait avec amour, mais j'étais sûre qu'il ne pouvait rien ressentir. Je voulais penser que son esprit était toujours là, caché au fond de son corps, prisonnier d'une barrière que je finirais par faire tomber. J'avais de plus en plus de mal à savoir s'il agissait de son propre chef ou en réponse à des ordres que je lui donnais inconsciemment. Je supportais de moins en moins cette incertitude et le contact de sa peau qui s'effritait de plus en plus me révulsait. Je repoussai violemment sa main et quittai la demeure. Je m'enfonçais dans les ruelles du Promontoire afin de m'éloigner de plus en plus de la maison et des deux cadavres qui constituaient à présent ma famille. Et c'est à ce moment-là, alors que je courrais de rue en rue, que je l'entendis pour la première fois. On aurait dit que le tonnerre claquait et tout de suite après, le bruit fut suivi d'un hennissement. Le cri d'un homme accompagna le bruit lorsqu'il retentit de nouveau. Je m'étais arrêté net dans ma course. Le bruit ne m'effrayait pas, au contraire, je me sentais attiré par lui. J'abandonnais ma course folle dans les rues du Promontoire pour me diriger vers ce bruit si envoûtant. À chaque rue, j'entendais que je me rapprochais de la source du bruit. Je finis par découvrir un haras. Je continuais de suivre la source du bruit et les claquements me conduisirent au manège. Un homme s'y trouvait occupé à dresser des griffons. Dans une main il tenait une longe attachée à l'autre bout au licol d'un griffon, et dans l'autre un court bâton terminé par une longue lanière de cuir qu'il faisait claquer au-dessus du griffon pour le forcer à obéir. Le bruit qui m'attirait tant était produit par cette lanière à chaque fois qu'il claquait. Je me dissimulai dans un coin du manège et restai des heures à le regarder dresser cet animal revêche. Plus le temps passait et plus les claquements de la lanière m'apaisaient. La cadence et la férocité des coups diminuaient, le dresseur devait fatiguer. Chaque coup de lanière claquait comme le tonnerre et résonnait dans mes oreilles comme une douce mélodie. L'homme finit par raccompagner le griffon dans sa stèle, il le pansa et lui donna à manger. Durant tout ce temps, il avait suspendu la lanière à côté de la longe sur des clous plantés dans le mur. J'observai cet étrange objet et ne remarquai pas le palefrenier qui s'approchait de moi.

· Madame Aura. En quoi puis-je vous aider ?

· Bonjour, je voudrais apprendre à manier cet objet.

Je passai devant l'homme et allai directement décrocher la lanière du clou. Le contact du cuir usé et son odeur eurent sur moi un effet des plus inattendus.

· Vous voulez apprendre à manier le fouet ? Si je puis me permettre, Madame Aura, c'est quelque peu... humiliant pour vous non ?

· Ne me parle pas d'humiliation. Apprends-moi !

Je posai le fouet dans les mains du palefrenier et le fixai. Je sentais mes doigts me démanger, bientôt je devrais libérer toute cette énergie magique mais je ne voulais pas le tuer. Il suffisait qu'il fasse claquer le fouet pour que cette démangeaison disparaisse mais il s'embourbait dans des explications et des excuses que je ne voulais pas entendre. Mon agacement dut se lire sur mon visage car le palefrenier finit par se taire. Il leva le bras et fit claquer le fouet au-dessus de ma tête. Je sentis les flux de magie se déverser dans mes veines et ravager tout sur leur passage, mais cette énergie courut le long du fouet pour se dissiper dans l'air. Nous nous plaçâmes au milieu du manège et il m'expliqua tout ce que j'avais à savoir avec démonstration à l'appui, puis il mit le fouet dans mes mains. La douceur du cuir sous mes doigts m'amenait un sentiment de puissance. Le fouet n'était pas si long que ça, il était composé de plusieurs lamelles de cuir tressées très serrés. Saisissant la poignée et la lanière, je tirai dessus pour tester sa solidité. La souplesse du cuir qui avait travaillé de longues années était pour moi aussi douce que la peau de Danika avant sa mort. Je levai le bras et fit claquer le fouet de toutes mes forces. Il en résulta que le bout de la lanière vint claquer ma joue. Immédiatement je plaquai ma main gauche sur ma joue droite et sentis le rouge envahir ma joue ainsi qu'une forte chaleur. Le palefrenier s'empressa de m'amener de la glace et l'appliqua sur ma joue. La fraîcheur des glaçons sur ma peau me fit énormément de bien. Nous restâmes debout, lui la main sur ma joue pour maintenir la poche de froid en place et moi, le fouet dans une main et l'autre pendante le long de mon corps.

Le fouet : cet art méconnuМесто, где живут истории. Откройте их для себя