38-Les Six

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J'ouvris les yeux alors que je sentais des présences tout autour de moi. Six êtres des plus étranges me fixaient d'un regard vide. Il ne me fallut qu'une fraction de seconde pour les reconnaître. Kormir, entourée de Dwayna et Grenth me faisait face. Dans mon dos, Balthazar, Lyssa et Melandru complétaient le cercle. Les Six Dieux dans toute leur splendeur m'entouraient. Je n'osai respirer et encore moins bouger avant de savoir la raison de leur venue. Étaient-ils là pour me punir ? Ne l'avait-il pas déjà assez fait ? Kormir leva ses mains et des images pâles y apparurent. Du côté de Dwayna, je voyais Xarent faire rebondir une jeune fille sur ses genoux tandis qu'un petit garçon tirait sur sa veste. Il déposa la fille et fit de même avec le garçon. Tous les trois semblaient heureux. L'autre main de Kormir, celle du côté de Grenth, me montra un petit cercueil de la taille d'un enfant. Xarent, le visage plein de larmes, se tenait à côté. Une main posée sur le couvercle et l'autre, le poing serré dans ma direction. Je regardais tour à tour les six Dieux, mais seule Kormir semblait vouloir communiquer. Dans son dos, je vis d'étranges reflets orangés illuminer le ciel. J'entendis des cris de terreur bien avant de sentir l'odeur du bois brûlé. Kormir fit quelques pas sur le côté pour me permettre de mieux voir. Les lueurs prenaient de plus en plus d'ampleur. Balthazar, Lyssa et Melandru disparurent. Kormir leva une nouvelle fois ses mains et pointa Grenth et Dwayna juste avant qu'ils ne disparaissent eux aussi. Je me levai et m'approchai de la grille, que j'ouvris. Je quittai le couvert du caveau et me dirigeai vers les flammes que je voyais danser au loin. Alors que je me rapprochai de l'incendie, je voyais des gens sortirent de leurs maisons, courir en sens inverse, affolés et criant "au feu". Je me dirigeai vers la source de leur peur et découvris ma propre demeure en proie aux flammes. Xarent se lamentait devant les portes, retenu par plusieurs de nos domestiques. Il ne cessait de hurler.

- Laissez-moi ! Dragonne et Danika sont à l'intérieur! Lâchez-moi ! DRAGONNE !

Xarent m'aperçut et les domestiques le laissèrent me rejoindre. Il se jeta sur moi et me prit dans ses bras.

- Tu n'as rien ?! Où est Danika ?

Je ne comprenais pas ce que ces noms signifiaient pour lui. Et je ne savais pas quoi lui répondre quand un cri perça dans la nuit et la mémoire me revint. Il s'agissait des pleurs d'un nouveau-né. Danika était coincée à l'intérieure de la maison qui partait en fumée. Xarent me repoussa et me toisa avec incompréhension.

- Dis-moi que notre fille est avec toi. Dis-moi que tu ne t'es pas encore enfuie.

Je ne lui répondis pas et son incompréhension devint de la fureur. Les pleurs de Danika déchiraient le ciel mais nul ne pouvait aller la chercher. La maison craqua à plusieurs endroits et Danika pleura de plus belle. Xarent se mit à me frapper.

- Mais comment as-tu pu ? Pourquoi faut-il toujours que tu détruises ton propre bonheur ?

La maison s'effondra sur elle-même pendant que Xarent me frappait encore et encore. Je m'effondrai au sol, mon cœur se déchirait à chaque pleur qui nous prévenait. Si seulement je ne l'avais pas abandonnée. Je serais avec elle, en sécurité ou dans les flammes, au moins serais-je à ses côtés. Les habitants du Promontoire s'attroupaient autour de nous et regardaient sans rien faire ma disgrâce. La reine elle-même apparut et son regard empli de dégoût à mon égard fut la dernière chose dont je me souvins avant de m'éveiller en sueur et le visage couvert de pleurs en plein milieu des stèles où je m'étais endormie quelques heures plus tôt. Je me levai et courus vers la maison, craignant que ce ne soit pas un rêve. La Lune était basse dans le ciel et aucune lueur orangée ne laissait penser qu'un incendie avait lieu en ce moment même. Je pénétrai dans la maison par la porte de derrière qui était toujours ouverte. Affolée et affamée, je regagnai ma chambre où je trouvai Danika paisiblement endormie dans son couffin. Soulagée de la savoir en vie, je m'assis contre son berceau et repris ma respiration. Je levai les yeux vers le bout de ciel que j'apercevais par la fenêtre et remerciai les Dieux de m'avoir offert le choix. Une fois calmée, je me dirigeai vers la salle de bain et me lavai comme pour chasser mes mauvaises actions de la nuit passée. À peine fus-je revenue dans la chambre que Danika se mit à gigoter et à pleurer. Je la pris délicatement dans mes bras et la nourris. Je me dirigeai vers la chambre de Xarent et déposai précautionneusement Danika à ses côtés dans le lit, puis je me couchai de l'autre côté de notre fille et finis ma nuit. Quelques heures plus tard, Danika se remit à gigoter mais ne pleura pas. Nous nous éveillâmes, et jouâmes avec elle. Je la pris dans mes bras et son contact me fut d'une douceur exquise. Xarent nous serra toutes les deux dans ses bras. Il finit par se lever et partir travailler pendant que je restais au lit à contempler Danika. Je voyais à présent la beauté qui était la sienne et qui rendait Xarent si heureux.

Les jours devinrent des mois et Danika grandissait à vue d'œil et était une petite fille très intelligente. Elle apprit rapidement à se déplacer par elle-même et comment se faire comprendre alors qu'elle ne savait pas encore parler. De magnifiques cheveux noirs recouvrirent sa tête et cela m'emplissait de fierté. C'était comme si ma fille, du haut de ses quelques mois, défiait déjà son grand-père. Plus elle prenait de l'âge, plus elle embellissait. Xarent passait des journées entières à ses côtés, nous formions une famille épanouie. Ignis venait nous voir régulièrement et grand-mère et petite fille s'entendaient à merveille. Contrairement à ce que je m'étais imaginé, Aëryk était un oncle incroyable. Il s'émerveilla devant le moindre des mouvements de Danika et cette dernière adorait pavaner devant son oncle. Lui et Xarent modifiaient en permanence les éléments pour le plus grand bonheur de Danika, même si je prenais cet acte comme un rappel constant que je ne faisais pas partie des élus, que jamais je ne pourrais créer cet éclat de bonheur dans les yeux de ma propre fille. Je ne pouvais pas leur en vouloir de tout faire pour l'émerveiller. La seule personne qu'elle ne voyait que rarement était Istran, et cela nous convenait bien à tous les deux. Enragé à l'idée que sa petite-fille n'ait pas héritée des qualités familiales, il tentait de nous rejeter. Or Xarent et moi avions pris bien trop d'importance socialement et économiquement pour qu'il puisse faire cela et rester dans les bonnes grâces de sa majesté. Lorsque je parcourais les rues du Promontoire, les gens me saluaient sur mon passage. Xarent n'avait pas menti. Ma vie avait changé du tout au tout le jour où je lui avais dit oui. J'avais seulement mis des années à m'en rendre compte. Contrairement à Ignis, je n'avais pas besoin de renforcer ma position et celle de Xarent en exhibant notre héritière. Ainsi, je ne l'emmenais à la ville haute que pour lui permettre d'admirer les fleurs qui composaient le jardin et aucunement pour que les nobles se l'approprient. Lorsque nous venions admirer les magnifiques fleurs du jardin, la reine faisait en sorte de venir nous rejoindre afin de passer quelques instants avec Danika et de pouvoir profiter de son insouciance.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now