50-Ericka Carrghamhna

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Je ne repris mes esprits que plusieurs jours plus tard. Allongée dans le lit de Durban dans sa vieille masure, je me sentais vide. L'énergie ne me manquait pas, mais je n'avais plus de motivation. J'avais trouvé l'assassin de ma famille mais je ne pouvais le battre et s'il y avait une once de vérité dans tout ce qu'il m'avait dit, comment pouvais-je tuer mon propre frère ? Je n'en avais pas été capable avec Aëryk, pourquoi cela serait-il différent avec Durban ? Je ne vengerais jamais Xarent et Danika et je n'avais donc plus aucun but. Je restai sans bouger à contempler le plafond complètement fissuré. Durban prit soin de moi les jours qui suivirent notre combat, agissant comme le grand frère qu'il voulait tant être. Il ne remarquait pas -ou alors il ne voulait pas voir- le malaise qui envahissait mon esprit. Alors qu'il me parlait de tout ce qui lui passait par la tête, je ne lâchai pas le moindre mot. Il passait la plus grande partie de la journée à me tenir compagnie. Pour survivre, il effectuait divers travaux manuels et par moment, des gens de toutes les races et de tous rangs venaient lui demander ses services de nécromant. C'était toujours pour réveiller un mort récent et permettre à sa famille de lui faire des adieux. Mais en de rares occasions, il s'agissait de punir un criminel. Devrais-je devenir chasseuse de primes ? N'y avait-il aucun autre avenir qui m'attendait ? Il s'absentait par moments plusieurs jours mais je n'en avais pas conscience. Je perdais du poids à vue d'œil, transformant mon corps en une épave. Plusieurs semaines après notre rencontre, Durban revint et me gifla. Le choc me ramena à la réalité et il me mit pied au mur.

- Tu ne peux pas rester dans cet état. Je t'aiderai à te relever. Mais tu dois faire un effort.

- Tu as détruit tout ce qui comptait pour moi.

- Tu respires encore. Tu peux te trouver un autre mari et avoir d'autres enfants. Mais il n'y a qu'une seule Dragonne.

Durban vint s'asseoir sur le lit. Il replaça les quelques mèches de cheveux que sa gifle avait déplacées.

- Je n'ai qu'une sœur. Je ne te veux aucun mal. Je voulais juste que tu sois de nouveau toi.

- Mais tu m'as tout pris.

- Pas ta vie.

Il semblait si aimant et si attentionné.

- Dis-moi Durban. Pourquoi as-tu reformé le sceau si ton but était de laisser mes pouvoirs sortir ?

- Parce qu'à ce moment, tu allais en mourir. Ne pouvant se nourrir d'énergie vitale, ton don prenait la tienne.

- Pourquoi ne l'a-t-il pas fait lorsque tu as tué Danika ?

- Parce que cette fois-là, tu le voulais. Une part de ton esprit avait besoin de ton don pour faire face à la menace que je représentais.

- Mais comment as-tu pu tuer Danika...

Le regard de Durban se voila quelques secondes puis il secoua la tête.

- Sache que je dois vivre avec ce que j'ai fait. Ma seule consolation est le fait que tu es pleinement éveillée maintenant et que nous pouvons reprendre ce qui nous appartient. Istran ne t'a jamais parlé de notre mère, n'est-ce pas ?

Durban se releva et retira le linge qui protégeait un tableau posé dans le coin de la pièce. C'était le tableau qu'il regardait lorsque j'avais fait irruption chez lui. Il représentait une très belle jeune femme qui devait avoir mon âge. Ses cheveux étaient d'un brun très clair et ses yeux d'un bleu magnifique.

- Elle était très belle, tu ne trouves pas ?

Je retrouvai dans ce portrait certains de mes traits. La volonté cachée derrière ces yeux, je la possédais encore quelques jours auparavant.

- Dragonne, laisse-moi te présenter Ericka Carrghamhna, Duchesse de la vallée de la reine et cousine de celle-ci. Notre mère.

- Pourquoi Istran l'a-t-il épousée ?

- Parce que bien avant notre naissance, il en était amoureux. Et elle avait une influence à la cour qui n'était pas pour déplaire à notre grand-père paternel.

- La seule chose qu'Istran aime c'est le pouvoir.

- Mère me racontait souvent qu'il était loin d'être comme ça lorsqu'elle l'avait rencontré. Mais grand-père lui a retourné la tête lorsque mère m'a donné naissance ainsi qu'à toi, la pression qu'il exerçait sur père était trop forte. Mère n'a pas passé une journée sans regretter de t'avoir laissée derrière. Mais elle pensait que tu aurais une bien meilleure vie que nous.

- Pourquoi ? Elle était duchesse. Elle pouvait tout avoir, tout nous donner.

- Non. Lorsqu'Istran l'a répudiée, la reine n'a pas eu d'autre choix que de tout lui retirer. Nos grands-parents ne pouvaient même plus la voir. Personne ne peut prononcer son nom à la cour. Nous nous sommes cachés mais mère refusait de quitter le Promontoire. Elle voulait être sûre qu'Istran ne te mettrait pas à la rue du jour au lendemain.

Durban me prit dans ses bras et me serra contre lui.

- Mais toutes ces années sombres sont derrière nous maintenant. Et nous allons lui faire payer. Nous allons venger l'honneur de mère.

Venger mère ? Encore une fois, on me demandait de venger quelqu'un. De prendre une vie, d'attrister une famille. Je n'en pouvais plus de toute cette mort. De tous ces morts qui apparaissait dans mon sillage depuis que mes pouvoirs avaient refait surface. Je tentai de me dissimuler sous le drap mais Durban s'emporta. Il arracha le tissu de mes mains et m'empoigna par les épaules. Il me tira hors du lit et me secoua.

- Mais ressaisis-toi ! Tu appartiens à la famille la plus puissante de tout le royaume, tu as les moyens de te venger de celui qui t'a torturée toute ton enfance et tu restes là, à ne rien faire !

Il me jeta par terre et je m'écrasai sur le sol sans réagir. Sa fureur augmenta encore devant mon inaction et il se mit à me frapper. Le premier coup de pied fit naître en moi une grande douleur et je l'accueillai comme la punition que j'avais bien méritée pour toutes mes mauvaises actions. Les yeux de Durban prirent un éclat jaunâtre et il se mit à me frapper de plus en plus fort avec ses poings. Je ne réagis toujours pas alors il se mit à absorber ma vie. D'abord par petits coups, puis de plus en plus. Je la lui donnaii volontiers, n'espérant qu'une chose en retour, pouvoir retrouver Xarent et Danika. Puis une barrière céda au fond de mon esprit, et sans que je ne puisse la contrôler, un flot de magie se déversa dans mes membres et je me mis à rendre à Durban chacun de ses coups. Un immense sourire éclaira son visage alors que je regardai mon propre corps se défendre et lutter pour sa vie. Il riposta et nous nous engageâmes dans un combat qui dura des heures. Les attaques de Durban grandissaient sans cesse et je peinais de plus en plus à riposter. Il en demandait de plus en plus à mon corps et malgré mes longues journées d'entraînements avec Dölkan, je le sentais prendre le dessus sur moi. Accablée par le chagrin et la fatigue, je finis par m'effondrer au milieu de la pièce. Durban se précipita pour me rattraper. Il me prit délicatement dans ses bras et me reposa sur le lit.

- Là. Je retrouve enfin ma sœur.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now