12-Par la grâce des six

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                J'attendis le retour d'Ignis. En premier lieu, je restais sagement assise sur mon lit. Mais au bout de quelques minutes, je sortis de la chambre pour me dégourdir les jambes. Arrivée dans la cour intérieure je vis Aëryk occupé à répéter des mouvements. Je restais dans son dos et l'observais. Il grandissait vite et ses pouvoirs se développaient plus rapidement encore. A huit ans, mon petit frère était, depuis quelque temps déjà, bien plus fort que moi. Enfin, en tant qu'élu, il avait toujours été plus fort que moi toutefois, cette vérité était devenue flagrante depuis que les garçons m'avaient agressé. Lui ne se serait pas laisser faire, il aurait su comment riposter et surtout, il aurait pu. Mais comment pourrais-je en vouloir à un être aussi jeune ? Aëryk n'avait rien demandé de tout cela. Les Dieux avaient choisi de se pencher sur son berceau plutôt que sur le mien. Ils me réservaient sûrement un autre destin. Moins glorieux que le sien, mais un destin quand même. Je m'approchai un peu plus de lui et posai ma main sur son épaule.

- Tu voudrais jouer avec moi ?

Aëryk se retourna, d'abord sur la défensive puis un immense sourire lui fendit le visage.

- Dragonne ! Oui !

- Les règles sont simples. Pour gagner, tu dois m'attraper.

A peine avais-je finis ma phrase que je partais en courant. Aëryk mit quelques secondes à comprendre que le jeu avait déjà commencé puis il partit à ma poursuite. Nous traversions la maison dans tous les sens. Aëryk ne réussissait pas à m'attraper. D'un coup, je le vis s'arrêter du coin de l'œil. Il esquissait des mouvements à toute vitesse et avant que je ne m'en rende compte, il m'avait entravée avec l'un de ses sorts de gardien. J'étais sous le choc. Jamais il n'avait osé utiliser sa magie contre moi. Je fixai avec stupeur mes mains et mes pieds à présent prisonniers des chaînes éthérées. Je tournai lentement la tête pour regarder Aëryk. Il semblait plus heureux que jamais, cependant lorsqu'il vit mon visage son sourire s'effaça. Je m'empressai aussitôt de rire pour le rassurer.

- C'est de la triche tu ne crois pas ?

- Tu n'as jamais dit que c'était interdit.

Une étincelle de malice brillait dans son regard.

- Bon, allez. Libère moi, tu as gagné.

Aëryk fit disparaître les chaînes d'un léger mouvement de sa main.

- N'en parle pas à Istran. Ça voudrait dire que tu as joué au lieu de t'entraîner. Et ça serait mauvais pour nous deux.

- Tu as raison. Bon, je dois m'y remettre. Tu sais où est partie maman ?

- Aucune idée. Mais elle ne devrait plus tarder.

Aëryk reprit son entrainement, quant à moi je m'assis dans un coin de la cour pour l'observer. Mon esprit faisait des allers-retours entre Aëryk et les deux garçons qui avaient tenté de me voler quelques jours auparavant. Je me sentais plus démunie que jamais. Ignis choisit cet instant pour rentrer accompagnée de deux individus. Le premier était un Asura, sa petite taille et sa peau grise ne laissant guère de choix quant à ses origines. Il portait une amure de plaque dorée, drapée de rouge et de bleu. Son armure était finement ouvragée et ne semblait pas ridicule sur un si petit être. L'origine du deuxième était dure à déterminer. Il portait une longue toge noir drapée de marron qui cachait son corps tout en laissant ses bras nus. Une capuche couvrait l'intégralité de son visage et il portait une branche dans son dos. A sa taille j'en déduisis que c'était un humain. Aussi étrange que leur accoutrement puisse paraître, je sentis en moi une vague d'apaisement parcourir mon corps.

- Dragonne. Tu n'as pas encore vu toutes les formes que la magie peut prendre. Tu sais déjà que celle des voleurs n'est pas très bien vue. Mais en voici deux autres dont les gens évitent de parler.

L'Asura s'approcha gentiment en me regardant.

- Je m'appelle Ckim. Je suis ce qu'on appelle un revenant. J'ai parcouru les limbes et j'en suis revenu. Ce n'est pas une chose aisée et on n'en revient pas indemne.

L'homme à la capuche s'avança légèrement. Il inclina la tête et dégaina sa branche. Un puissant halo bleu la parcourut.

- Je me prénomme Dolkän. Je n'ai pas traversé les limbes, en revanche je communique avec l'énergie vitale de toute chose. Je suis ce qu'on appelle un nécromant. Je crois que je possède la forme de magie la plus détestée de toutes.

Ckim et Dolkän parlaient à tour de rôle, me présentant leurs magies respectives. Atouts et inconvénients mélangés. L'un communiquait avec les esprits et tirait sa force d'un arrangement commun tandis que l'autre puisait sa force dans le sang et la chair. Le premier ne pouvait pas se défaire de ses « amis » fantômes et n'était jamais réellement seul. Le deuxième avait du mal à s'intégrer parmi les vivants tant sa communion avec Grenth était forte. Je buvais leurs paroles et je sentais qu'elles parlaient à quelque chose au plus profond de mon être. Ils décidèrent d'accompagner leurs mots de démonstrations. Aëryk, qui avait arrêté de s'entraîner dès que Dolkän et Ckim étaient entrés, se mesura à eux. Il se défendait tant bien que mal contre ces deux adultes qui regorgeaient d'ingéniosité pour le pousser dans ses retranchements.

À la fin de l'après-midi, Aëryk était en nage. Il s'était vaillamment défendu et Ignis semblait fier de son petit garçon. Comme si ma défaite de l'autre jour n'était pas suffisante, le monde semblait constamment ma rappeler que j'étais faible. C'en était plus que ce que je ne pouvais supporter. Ckim et Dolkän prirent congés à la fin de l'après-midi avant qu'Istran ne revienne. Je m'enfermai dans ma chambre et hurlai de toutes mes forces. Je comprenais à présent toutes les paroles d'Istran. Je n'étais qu'un fardeau pour ma famille. Incapable de survivre seule en dehors de ces murs, de quelle manière pourrais-je servir la famille ?

Je passais les jours qui suivirent, assise dans la cour à regarder Aëryk s'entraîner et devenir chaque jour ce qu'Istran attendait de lui : le plus puissant des gardiens de la famille. J'allais régulièrement faire un tour près de la fontaine afin de voir le garçon s'exercer. Mais cela ne fit qu'accentuer mon dégoût des Elus. À n'importe quel endroit où je posais mes yeux, je ne voyais qu'eux. Après une semaine, je ne supportais plus de voir le garçon. Lui qui m'avait charmée me mettait à présent dans une rage folle. Car même lui, un vulgaire roturier, possédait une magie. Je finis par m'enfermer de mon plein gré dans ma chambre. Je ne la considérais plus comme une prison mais comme un refuge face à ce monde si injuste. J'en vins à maudire Dwayna d'être aussi cruelle à mon égard et à prier Grenth de m'accueillir dans les limbes au plus vite. Après tout, peut-être renaîtrais-je et deviendrais-je une revenante.

Le fouet : cet art méconnuKde žijí příběhy. Začni objevovat