8-Le jeune garçon

39 3 0
                                    

Le jour suivant pointa ses rayons dans ma chambre. Je m'éveillai et sortai de mon lit de fortune. Mon escapade de la veille m'avait fait comprendre qu'il me serait impossible d'échapper à la famille Alexi Elle. En revanche, rien ne m'empêchait de m'éclipser pendant la journée tant que je revenais le soir. Mais je ne devais pas recommencer tout de suite. J'avais mis Istran dans une immense colère la veille et si je voulais garder le peu de liberté que je possédais encore, je devais l'apaiser. Sachant que la maison était encore endormie je me faufilais jusqu'aux cuisines pour y récupérer de quoi nettoyer les morceaux de bois qui traînaient un peu partout dans ma chambre. De retour j'entrepris de trier le bois. Certains morceaux n'étaient pas cassés mais juste déboîtés. Je rassemblai ce qui pouvait l'être et fit disparaître ce que je ne pouvais pas garder. Quelques heures plus tard, ma chambre ressemblait de nouveau à quelque chose. Depuis un petit moment déjà, les serviteurs avaient commencé à s'agiter afin de préparer la maison avant qu'Istran ne se lève. Son réveil était imminent à présent. Je les entendis, lui et Ignis, sortir de leur chambre, traverser le couloir et aller prendre leur petit déjeuner dans le salon. Puis ce fut au tour d'Aëryk de se lever et de les rejoindre dans le salon. La famille au complet était réveillée et attablée. Je les entendais discuter et rire sans pour autant comprendre de quoi il retournait. J'hésitais. Devais-je me faire la plus petite possible ou au contraire, aller au-devant d'Istran et me présenter durant leur petit déjeuner ? J'optai pour la première solution, la deuxième ne ferait que raviver la colère d'Istran. Je restais bien caché dans ma chambre en attendant que son courroux s'abatte sur ma misérable tête. Et j'attendis longtemps. Après le petit déjeuner, Ignis partit auprès de la reine tandis qu'Istran reprenait l'entrainement d'Aëryk. Je les entendais parler et de nouveau, je quittai la sécurité de ma chambre pour partir les espionner. La complicité qui les liait me révulsait toujours mais contrairement à la veille, je gardais mon calme. Je ne tentais plus de les imiter, je savais que cela ne servirait rien. En revanche, je brûlais de parcourir le Promontoire de nouveau. Il y avait tant de chose que je n'avais pas encore vues. Mais la punition d'Istran serait bien plus sévère si je n'étais pas présente au moment où il daignerait me la donner. Alors j'attendis, avec le plus de patience dont je pouvais faire preuve. J'attendis sagement que l'heure du déjeuner arrive. Istran envoya Aëryk dans le salon en lui permettant de commencer le repas seul. Je retournai dans ma chambre et m'assis sur le lit fraîchement remonté. Istran entra dans la chambre quelques minutes après moi, il regarda autour de lui et fixa son regard sur moi. Je baissai immédiatement les yeux.

- Nous devons reprendre notre discussion d'hier. Nous avons été interrompus. Il a été sage de ta part de ranger tes bêtises de la veille. Cependant, je crains que tu n'aies oublié qui commande ici.

Il verrouilla la porte derrière lui, et reporta son attention sur moi.

- Je serai fort contrarié si nous étions de nouveau dérangés.

Alors qu'il s'approchait de moi, je priais de toutes mes forces pour disparaître. Mais je ne fis aucun mouvement, lorsqu'il me gifla. Je ne m'étais préparé ni à l'impact, ni à sa force et me retrouvai allongée sur le lit, la joue gauche brûlante.

- Je suis désolée.
- Désolée ? Pour quoi ? Pour m'avoir rappelé que tu n'es qu'un échec de plus ? Que ta mère n'est qu'une incapable ? Que tu n'es qu'une ingrate qui me remercie de ma gentillesse en détruisant mon mobilier ?
- Pour tout. Je m'excuse pour tout.
- Dans ce cas, tiens-toi à carreaux. Sinon, je ne viendrai même pas te corriger moi-même. Je demanderai aux serviteurs de te jeter à la rue sans affaire ni nourriture.

Il fit demi-tour et ressortit de la chambre. Ma joue n'avait pas cessé de me brûler. Au contraire, la chaleur cuisante se répandait sur mon visage, me faisant monter les larmes aux yeux. Je me roulais en boule sur le lit, et pleurais toutes les larmes de mon corps. Mais cet état ne dura pas. Très vite je fus envahie par un immense soulagement. Cela n'avait pas été si terrible après tout. J'avais eu une gifle mais je possédais encore le droit d'habiter dans cette maison. L'après-midi venait tout juste de commencer et la journée était belle. Après un rapide tour par le cellier, pour récupérer de quoi manger, j'escaladai le mur de ma chambre pour me retrouver de nouveau libre. Contrairement à la veille, je partis directement en direction du Sud. Mes pas me guidèrent jusqu'au pied de la ville haute, où les étals des marchands s'alignaient sous des auvents colorés. Les cuisiniers présentaient des fruits et des légumes de toutes les formes, tailles et couleurs. Les artisans exposaient leurs produits, des vêtements en tissu, jusqu'aux livres avec de magnifiques enluminures en passant par des armures de métal plus ou moins ouvragées. Au détour d'une ruelle, je vis un jeune garçon. À en juger par sa taille, il devait avoir mon âge. Il se tenait devant une fontaine et s'agitait bizarrement. Il avait des mouvements saccadés et amples. Je détournais le regard pensant qu'il devait avoir quelques problèmes mentaux, mais du coin de l'œil je surpris un mouvement étrange. L'eau de la fontaine avait changé, elle ne cascadait plus normalement mais formait des tourbillons peu naturels. Je m'appuyai contre un poteau et le regardai avec plus d'attention. Il enchaînait les mouvements et l'eau lui répondait. Par moment des fragments de glace tombaient à ses pieds, à d'autres l'eau jaillissait de la fontaine bien plus haut qu'elle ne l'aurait dû. Le temps fila à une vitesse folle alors que j'observais le garçon. Le soleil disparut derrière les murailles du Promontoire et le garçon s'en rendit compte. Il prit ses jambes à son cou. Avant que je ne pense à courir à sa suite, il avait déjà disparu au détour d'une ruelle. Je repris donc le chemin de la demeure des Alexi Elle.Tout le temps que dura le retour, je ne cessais de penser au garçon et à sa magie. Ignis ne m'avait jamais présenté d'élus possédant ce genre de dons. J'étais arrivée devant ma fenêtre, mais dans ma hâte d'explorer le Promontoire j'avais omis un détail. Je n'avais aucun moyen d'escalader la façade et donc de rentrer dans ma chambre comme j'en étais sortie. Si Istran ne me trouvait pas dans la maison ou pire, s'il me trouvait à l'extérieur le jour même où il m'avait donné une seconde chance, je perdrais vraiment tout. Je me mis à réfléchir à toute vitesse, et finis par me rappeler l'existence d'une porte dérobée qui permettait aux serviteurs d'entrer et sortir discrètement. Je me faufilais donc discrètement à l'intérieur de la maison par cette porte. Je pris garde à ne faire aucun bruit pour ne pas éveiller les soupçons et je regagnais ma chambre sans faire le moindre détour malgré la faim qui me tiraillait. Je m'allongeai sur mon lit, l'esprit complètement ailleurs. Je ne cessais de repenser au garçon et à sa magie, au point que je rêvais de lui lorsque le sommeil me gagna.

Le fouet : cet art méconnuOnde histórias criam vida. Descubra agora