34-Vie d'adulte et complications

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Le soleil se leva et baigna la chambre de sa douce chaleur. Je me levai et m'habillai comme à mon habitude, cependant cette fois je prenais garde au bruit censé remplir la maison. Je n'entendais pas la respiration de Xarent de l'autre côté de la porte, je n'entendais pas les domestiques s'agiter pour préparer le petit déjeuner. Le désespoir me gagna. Mon manège ne l'avait donc pas fait changer d'avis. Je regardai mon reflet dans le miroir. Et je n'y vis qu'une jeune femme aux cheveux d'un noir abyssal, les traits tirés par l'anxiété et le manque de sommeil. J'étais prête. J'avais pris ma décision quelques jours auparavant. Je vivais déjà seule, pourquoi ne pas l'officialiser ? Istran n'accepterait sûrement jamais et je n'avais nulle part où aller, mais tout, je préférais tout au fait d'être de nouveau abandonné par un homme. Je quittai le confort et la sécurité de la chambre pour affronter la froideur du salon et le regard triste des domestiques. Je relevai la tête, refusant de leur donner plus de raison de commérer à mon sujet. Le petit-déjeuner m'attendait sur la table. Comme depuis un an, la place de Xarent était vide et propre, il n'y avait aucune trace de son passage. Si passage il y avait eu. Je mangeai et bus sans grande conviction. Je n'arrivais même plus à savourer le goût exquis de tous ces mets spécialement préparés à mon intention.

Une fois restaurée, je partis me promener dans les rues du promontoire. Je restais à proximité de la ville haute afin de profiter de la présence des gardes royaux. La dernière chose que je voulais était de me faire déposséder des rares biens que je pourrai espérer garder si Xarent acceptait ma demande de divorce. Mes pieds me guidaient de rues en rues sans que je n'y prête vraiment attention. Puis, au détour d'une ruelle je croisais Ignis qui semblait profiter du beau temps pour se détendre. Dès qu'elle me vit, elle s'empressa de venir dans ma direction. Je ne savais pas si j'étais capable de lui parler de mon couple et en même temps, qui était mieux placé qu'elle pour me comprendre ?

- Dragonne ! Tu es sublime. Comment vas-tu ?

Ignis me prit directement dans ses bras, comme le ferait une mère retrouvant sa fille après une longue absence. Je répondis à son embrassade par des gestes gauches et mal à l'aise.

- Ignis. Je vais bien.Dragonne, ne me mens pas. Cela peut se lire sur ton visage.

Alors que je m'efforçais de garder la tête haute et de refouler mon angoisse, ma surcharge émotionnelle décida d'exploser. Je me retrouvais en pleurs dans les bras de ma belle-mère qui me serra contre elle encore plus fortement. Elle prit mon visage entre ses mains et me força à la regarder droit dans les yeux. Enfin de ce qui était, il y avait encore quelques instants, ses yeux. À présent, il n'y avait plus que deux sphères étincelantes et chargées en énergie magique.

- Xarent te bat-il ?

Sa voix avait perdu toute chaleur alors qu'elle disait ces mots. Sa puissance s'échappait par tous les pores de sa peau et la transformait peu à peu en silhouette éthérée.

- Il n'oserait pas. Xarent est bien trop gentil pour ça.

- Ignis se calma instantanément et retrouva son aspect normal.

- Je ne suis peut-être pas ta mère. Je n'ai peut-être pas été la meilleure belle-mère, mais la soif de grandeur d'Istran nous détruira tous si personne ne l'arrête. Et tu as bien assez souffert pour lui.

- Ignis... Xarent et moi...

- Vous ne partagez plus grand choses ? Vous ne vous voyez plus autant ?

Je hochai timidement la tête et Ignis éclata de rire.

- Ce n'est que ça ? Dragonne. Rien de plus normal. Et je dois dire que c'est en partie ma faute.

Surprise par son comportement, je ne comprenais pas où elle voulait en venir.

- Durant votre lune de miel, il n'y avait que vous. Le monde autour n'était que votre terrain de jeu et personne n'osait vous déranger. Et à cause de l'accident de ton frère et de ma lettre, tout ça vous a été retiré d'un coup. Vous n'avez pas pu prendre le temps de vous réhabituer à cette vie. Tu as passé tes journées auprès d'Aëryk et lui les a passé à développer votre puissance.

- Mais je dois faire quoi dans ce cas ?

- Retrouver ton mari.

- Mais je n'ai aucune idée de l'endroit où il passe ses journées. Personne ne le sait.

Ignis prit un air faussement courroucé.

- Sais-tu à qui tu parles jeune fille ? Si l'envie m'en prend je peux tout connaître sur n'importe qui dans le Promontoire. Te souviens-tu de Skaeej ?

- C'est le voleur que j'ai rencontré, non ?

- Nous sommes devenus bons amis depuis qu'il t'a ramenée à la maison après ta promenade dans un mauvais quartier.

- Comment le sais-tu ? Il avait promis de ne rien dire à Istran.

- Et il ne lui a rien dit. Mais je ne suis pas ton père. Il s'inquiétait que tu retournes dans ce quartier, même par mégarde. Depuis, l'un de ses apprentis te suivait à chaque fois que tu sortais de la maison.

Les révélations d'Ignis expliquaient enfin pourquoi je m'étais toujours sentie suivie, où que j'aille.

- Mais là n'est pas la question. Je vais me renseigner et d'ici une heure, je saurai où se trouve ton époux.

- Ignis, quand tu l'auras retrouvé. Qu'est-ce que je devrai faire ?

- Lui parler.

- J'ai déjà essayé.

- Et lui laisser le temps de répondre.

Ignis me lança un immense sourire, comme si elle savait que je ne lui avais pas laissé le temps de s'expliquer. Elle replaça affectueusement l'une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille.

- Parle-lui de tes envies. Et écoute les siennes. Laissez-vous une chance.

Elle m'embrassa sur le front et prit congé. Je restais seule et immobile au milieu de la ruelle pendant quelques instants, repensant à toutes ses paroles. Du temps, des désirs, mais en avais-je envie ? Je pris tranquillement le chemin qui me menait à la maison, l'esprit en pleine ébullition. Je finis par relever les yeux et me retrouvai face à la fontaine ou j'accourais plus jeune pour voir l'élémentaliste s'entraîner. Cela faisait longtemps que je n'y pensais plus, et pourtant des images de son corps somptueux me revinrent en mémoire aussi nettement que si je l'avais vu la veille. Un désir depuis longtemps tari se ralluma avec violence au creux de mes reins et les images de l'élémentaliste laissèrent place aux souvenirs de mes nuits partagées avec Xarent. Ce magnifique moment passé dans une baignoire au sommet de la Citadelle Noire finit de m'achever. Je m'empressai de rentrer pour me changer. Farfouillant dans toutes mes malles, retournant tous les coffres je finis par trouver ce que je cherchais : mon corset et les jarretelles que je portais le jour où j'avais épousé Xarent. Je m'empressai d'enfiler mes sous-vêtements et de cacher le tout sous une robe de mousseline très légère. J'agrémentais ma tenue de quelques bijoux et consciente que l'heure promise par Ignis touchait à sa fin, je descendis dans le salon pour attendre le messager. Ne le voyant pas arriver, je fis rapidement les cent pas. Je tournais comme un griffon maintenu captif et incapable de déployer ses ailes. Les domestiques me lançaient des regards inquiets par-dessus leurs épaules et commençaient à chuchoter lorsqu'ils pensaient que je ne pouvais pas les entendre.

Le fouet : cet art méconnuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant