10-In Extremis

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                Me sentant soudainement toute petite, je me recroquevillai sur moi-même. Le garçon qui me faisait face semblait avoir mon âge. Mais la voix provenait d'un garçon plus âgé. Je me retournai doucement pour me retrouver face à un adolescent d'une quinzaine d'années.

- Bah alors, tu as perdu ta langue ?

Le jeune garçon se rapprocha de moi. Je me retournai encore.

- Tu te balades ici comme si tout t'appartenait. Et nous, on veut ce qui t'appartient.

Dans mon dos, le plus âgé riait à gorge déployée. Sa main toujours posée sur mon épaule m'empêchait de fuir ou tout simplement de bouger comme je le voulais. Le plus âgé me força à avancer en direction d'un coin éloigné de la ruelle. Je ne savais comment réagir. Devais-je hurler, et alerter les passants dans les rues adjacentes ? Ou les suivre docilement tout en sachant que je ne possédais aucun moyen de me défendre ? Je ne réfléchissais pas assez vite et le coin de la ruelle se rapprochait dangereusement. Mon pouls accélérait et je réfléchissais de moins en moins vite. Je trébuchai et m'affalai sur le sol de pierre de la ruelle. Le plus vieux des deux garçons me surplomba.

- Et bien la nobliote ? On ne sait pas marcher ? On tombe comme une feuille ?

Il tendit la main et m'agrippa le coude avec violence. Le mouvement me fit lâcher un cri de douleur. Le plus jeune des deux me gifla pour me forcer à me taire. La surprise du choc me fit retomber lourdement sur le sol.

- On a qu'à la dépouiller là. Ça sera aussi bien. Allez, donne nous tous ce que tu as sur toi.

Incrédule, je reculai à tâtons le plus loin possible d'eux. Mais ils ne me laissaient guère de répit.

- Vide tes poches, la nobliote.

- Tu pourras partir quand tu nous auras payé un droit de passage.

Apeurée je continuais de reculer, quand mon dos heurta un mur.

- Bien. Maintenant tu vas peut-être arrêter de reculer.

Les garçons se mirent à rire. La peur m'enserrait les entrailles et je n'osais pratiquement plus respirer. Dans un souffle je me mis à chuchoter.

- Mais je n'ai rien sur moi.

- Qu'est-ce qu'elle dit, la nobliote ?

- Je n'ai rien sur moi.

Lorsqu'ils comprirent mes paroles la deuxième fois, le sourire sur leur visage s'évanouit pour laisser place à un air grave.

- Ne nous mens pas petite. On n'a pas été élevé dans un palais d'or et d'argent nous. On n'hésitera pas à te violenter.

Je me sentais totalement impuissante, personne ne savait que j'étais ici, je ne voyais personne dans la ruelle à part nous. Des larmes se mirent à couler sur mes joues bien malgré moi, les deux garçons recommencèrent à rire. J'étais de plus en plus en colère contre moi et mon incapacité à me défendre. Je ne voulais pas devenir l'une de ces potiches de cour incapable de marcher seule. Les garçons commencèrent à tirer sur mes cheveux et à me bousculer. Tant bien que mal, je me relevai pour leur faire face.

- On essaye de se donner de la prestance, nobliote ?

- On finira par avoir ce qu'on veut. Soit tu nous le donnes, soit on va le demander directement à ta famille.

Je me mis à rire sans que je ne puisse me retenir. Nerveusement d'abord puis avec soulagement ensuite.

- Demandez, allez-y. Demandez une rançon à ma famille. Vous n'obtiendrez rien, je ne suis qu'un fardeau pour eux.

- Arrête. Ça ne marche pas avec nous.

Alors que je m'apprêtai à leur expliquer ma situation, une immense ombre recouvrit les deux garçons et une voix grave qui me rappelait vaguement un souvenir s'éleva.

- Alors les garçons. On embête les filles ?

Un imposant Charr en armure de plaque bleue recouverte de cristaux rouges s'avança et un profond soulagement s'empara de moi.

- Breuk ! Comme je suis heureuse de te voir.

- Dragonne ? Tu as bien grandi ! J'ai failli ne pas te reconnaître. Qu'est-ce que tu fais ici ?

Je m'apprêtai à répondre quand les mots restèrent coincés dans ma gorge. Devais-je lui dire la vérité ? Mentir ? Soudain, je me sentis très faible. M'appuyant contre le mur dans mon dos, je parvins à rester debout. Breuk regarda avec attention les deux garçons, à la lueur de ses yeux je vis qu'ils avaient parfaitement compris la situation.

- Jeunes hommes, que faites-vous ici ?

Les deux garçons qui s'étaient retrouvés coincés entre Breuk et moi ne savaient plus comment réagir. Ils jetaient sans cesse des regards dans tous les coins, espérant trouver une issue de secours.

- Euh, on l'aidait à se relever. On a vu qu'elle était tombée, on voulait être gentil c'est tout.

Ils n'étaient clairement pas crédibles mais Breuk les terrorisaient tellement qu'ils s'enfuirent sans demander leur reste. Breuk planta son regard dans le mien.

- Que fais-tu si loin de chez toi ?

Alors que Breuk posait un genou à terre, je chancelai de nouveau. Il tendit ses pattes et me rattrapa avant que je ne tombe.

- Oula ! Reste avec moi. On dirait que je suis arrivé à temps.

Breuk me saisit par la taille et me prit dans ses bras pendant qu'il se relevait.

- Allez, tu n'as plus rien à craindre. Je te ramène chez toi.

Je me laissais porter tandis qu'il reprenait le chemin de la maison. Mes forces me revenaient peu à peu et je parvenais de nouveau à réfléchir. Je me redressai d'un coup, ce qui fit sursauter Breuk qui faillit me lâcher.

- Et bien alors !? Qu'est-ce qui t'arrives tout à coup.

- Je ne peux pas rentrer. Ignis m'a envoyée faire une course. Et je me suis perdue en y allant.

- Et bien on va faire un détour avant de rentrer.

Breuk me déposa sur le sol.

- Qu'est-ce que tu devais lui ramener ?

- Euh, rien de très spécial. Ne t'inquiète pas. Je vais mieux je peux m'en charger seule.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- Laisse-moi au moins te raccompagner jusqu'aux pieds de la ville haute.

- Si tu veux.

Breuk me prit par la main et me conduisit, alors qu'il me faisait traverser ce quartier peu rassurant, je me sentais en parfaite sécurité. Par moment, je levais les yeux vers lui. Je lui étais tellement reconnaissante d'être intervenu, et en même temps tellement en colère contre moi-même. J'étais si frêle et si pathétique. Incapable d'assurer ma propre sécurité. Je n'avais aucun pouvoir inné qui pouvait me servir de protection, aucun don un tant soit peu utile. Arrivé aux pieds de la ville haute, il libéra ma main de la sienne.

- Bon et bien, c'est ici que je te laisse. Remplis vite ta mission et rentre chez toi. Le jour se couche et je ne serai pas tout le temps là.

- Merci Breuk.

Il partit de son côté et moi du mien. Je n'étais pas pressée de rentrer à la maison. Je voulais retrouver la fontaine où le jeune garçon s'entraînait.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now