55-Que la vérité soit

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Durban se releva dans une roulade. Il était couvert de neige et complètement perdu. Je sortis calmement de la tente et regardai Durban avec mépris.

- Tu m'as tout pris et tu oses me faire une critique parce que je fais d'elle ma marionnette ? Contrairement à toi, je ne l'ai pas assassinée sous tes yeux. Mais peut-être le devrais-je.

Le voulais-je ? La mort de Chaka m'offrirait-elle un quelconque réconfort ? Plus j'y réfléchissais, plus l'idée devenait tentante. Durban avait perdu tout intérêt à mes yeux. Mais je n'avais que lui sous la main et j'avais besoin de me défouler. Mon corps entier était parcouru d'éclairs et j'échangeais en permanence de l'énergie avec la terre. Mes trois corbeaux tournaient au-dessus de nous, se gorgeant eux-mêmes d'énergie. Ils crépitaient à chaque battement d'ailes et nous finîmes par nous synchroniser. La magie pulsait à travers mon corps et les leurs à l'unisson, nous rendant plus menaçant que jamais. Durban ne savait plus où donner de la tête. Je ne lui avais jamais clairement reproché le meurtre de Danika et il était plus que temps qu'il paye pour cela. Lorsque le premier éclair le frappa, je pénétrai fugacement dans son esprit. Je fis pleuvoir sur lui mes attaques de plus en plus rapidement, Durban ne riposta à aucun moment. Il se contentait de parer et de bloquer. Durban encaissait les coups, il ne paraissait pas souffrir de mes assauts. J'avais l'impression que mes attaques glissaient sur lui pour finir directement dans la terre. Son air satisfait m'exaspérait plus encore, si cela était encore possible. Ma rage à son égard augmentait sans cesse et je ne rêvai plus que d'une chose, lui arracher son sourire pièces par pièces et le réduire à néant. Je dégainai mon fouet pour la première fois depuis des années. Le contact du cuir usé dans ma main avait un côté rassurant. Il m'avait permis de canaliser ma rage lorsque j'avais perdu Danika et Xarent. A présent il m'aidait à la décupler. Ma fureur se canalisa le long des lanières de cuir et les éclairs cessèrent de parcourir et mon corps et celui de mes corbeaux pour se concentrer sur le fouet. D'un mouvement du poignet parfaitement calculé, je fis claquer son extrémité sur la joue de Durban, projetant au même moment toute la puissance dont j'étais capable. La libération d'une aussi grosse quantité d'énergie provoqua une énorme déflagration qui résonna dans la vallée, emprisonné par les sommets enneigés. Un grondement se fit entendre à l'autre bout de la vallée, comme si la Tyrie répondait à mon assaut. La neige dévala les pentes abruptes des sommets des Cimefroides. Les rares élémentalistes qui se trouvaient dans le camp s'unirent et s'épuisèrent à rediriger l'avalanche qui menaçait ensevelir le camp. Pourquoi prenaient-ils autant de précaution ? N'étions-nous pas des nécromants ? Une simple avalanche ne pouvait nous causer que des problèmes matériels. Après tout, si je disparaissais, j'emmènerais Durban avec moi. Je poursuivais mes assauts, les rapprochant les uns des autres. Durban restait tout aussi impassible.

- Mais défends-toi ! Riposte !

- Pourquoi faire ? Tu ne cherches pas réellement à me blesser. Je n'ai rien à craindre de ta part.

Rien à craindre de ma part ? Que voulais-je réellement ? Je me mis à réfléchir à toute vitesse. Bien sûr que je le voulais mort. Mais pourquoi pensait-il le contraire ? Puis je finis par comprendre. Je ne déployais pas toute ma puissance à son égard. Je me contentais du peu d'énergie que j'avais usé contre Chaka. Je me redressai et me reconcentrai sur mon envie. Je rapatriai toute l'énergie que je pus récupérer. Mes corbeaux s'effondrèrent dans la neige sans un coassement. Leur deuxième vie venait de prendre fin. Je sentais la magie crépiter dans mes veines et ces dernières prirent une teinte jaunâtre alors qu'elles se mettaient à briller. Durban perdit enfin son sourire.

- Voilà. Là on va pouvoir discuter sérieusement.

Il ne pensait pas si bien dire. Abandonnant mon fouet dans la neige, je m'élançai vers lui débordant de rage. Pour la première fois depuis des mois, je bougeai rapidement. Je vis les plaques qui recouvraient ma peau se briser, mon sang qui semblait très clair se répandait sur le sol mais je ne ressentais aucune douleur. À chaque fois que l'un de mes pieds touchait le sol, je ressentais les vibrations du choc dans la terre. Le monde s'ouvrait devant moi mais sous un tout nouvel aspect. Je pouvais voir les flux d'énergie et humer toutes les forces vitales que j'avais à proximité. Je bondis sur Durban et le saisit aux épaules, et bien que préparé à mon assaut il ne put résister et nous tombâmes à la renverse. Il se retrouva allongé sur le dos dans la neige ; à genoux sur son torse, je lui lacerai le cou avec mes ongles. Durban fut obligé de commencer à se défendre et je reçus des éclairs de magie dans le ventre. Je faillis ne pas les sentir tant ils étaient faibles. Puis les sensations passèrent des chatouilles à des picotements de plus en plus forts. Je réussis à reconnaître le goût de son énergie et à me focaliser dessus, remontant de plus en plus le flux de sa magie dans l'espoir de le transformer en un pantin. Nous luttâmes dans la neige à coup d'éclairs et de poings jusqu'à ce que Chaka n'intervienne. L'avalanche était passée et les membres du refuge se saisirent de nous et nous maintinrent à distance.

- Mais qu'est-ce qui vous prend ? Si nous commençons à nous battre entre nous, nous ne survivrons pas très longtemps.

Mon corps continuait de décharger des éclairs sur les trois hommes qui me maintenaient à genoux. Je sentais leur corps se crisper à chaque fois qu'ils en recevaient. Je ne fis rien pour arrêter, au contraire je focalisais mon énergie sur eux trois. Et tandis que Chaka regardait Durban, cherchant des réponses de sa part, je transformais les trois hommes en trois marionnettes plus dociles que des chiens. Je me redressai et toisai Chaka.

- Lorsque je suis arrivée, tu as dit que vous étiez nombreux à connaître mon histoire. Je pense au contraire que vous ignorez tout.

Il ne fallut qu'une fraction de seconde à Chaka pour comprendre que je contrôlais à présent mes "geôliers" ; bien qu'effrayée par la vision que je lui offrai, elle n'en tint pas rigueur.

- Durban nous a expliqué lors de sa première venue qui vous êtes et ce qu'Istran vous a fait subir.

- Mais Durban, t-a-t-il dit ce qu'il m'a fait subir ?

Durban commença à se débattre mais il était maintenu fermement et contrairement à moi, ne voulait ou ne pouvait prendre le contrôle d'autres êtres vivants. À son expression, je compris que Durban avait gardé sous silence la partie de l'histoire où il assassinait ma famille.

- Cet homme que tu vois, Chaka. Cet homme avec qui, si j'ai bien compris, tu entretiens une relation. Cet homme qui se dit mon frère a pénétré chez moi alors que ma petite fille fêtait ses cinq ans. Il a envoyé ses golems dépecer mon mari. Je l'ai retrouvé gisant sur son bureau, dans son propre sang. J'ai ensuite trouvé Durban dans le salon, ma fille, ma petite Danika sur ses genoux. Et alors qu'elle n'avait rien demandé, il lui a brisé la nuque sous mes yeux. Il a tué sa propre nièce soit disant pour briser le sceau qui entravait ma vraie nature. Sceau qu'il avait lui-même posé.

Plus je parlais et plus le visage de Chaka se décomposait. Elle refusait de croire à mes paroles, tout comme elle refusait de voir en Durban un meurtrier sans cœur.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now