17-Le précepteur

22 3 0
                                    

Je ne contrôlais plus vraiment les évènements mais après tout, je ne devais faire qu'une seule chose. Profiter. Xarent revint me voir dans l'après-midi et nous fîmes une promenade dans le Promontoire. Alors que j'essayais de l'attirer dans les ruelles des quartiers populaires pour lui montrer la vraie beauté de la ville, Xarent préférait rester au pied de la ville haute.

- Si un élu a peur de se promener dans les rues du Promontoire. Que vont devenir les pauvres mortels comme moi ?

- Nous vivons dans des mondes différents. Un endroit sûr pour une personne ne l'est pas forcement pour une autre.

Je plongeai mon regard dans le sien, en tentant de découvrir s'il pensait réellement ce qu'il disait ou s'il s'essayait à l'humour. Ne voyant que du sérieux dans ses yeux, j'éclatai de rire en pleine rue. Mes yeux se mirent à pleurer malgré moi. Les passants me regardaient bizarrement, les enfants s'interrogeaient sur cette crise de rire. Xarent prit la mouche, il croisa ses bras sur sa poitrine et prit un air outré qui me fit redoubla mon hilarité. À bout de souffle, je fus obligée de me calmer et d'essuyer mes larmes sur les manches de ma robe. Je repris le bras de Xarent et, avec un immense sourire pour ma part et une tête à déterrer les morts pour lui, nous finîmes notre promenade. Il me raccompagna jusqu'au pas de ma porte, déposa un baiser sur ma joue et partit, toujours bougon. Je refermai la porte dans mon dos et tombai nez à nez avec Ignis qui surprit le sourire qui ornait encore mon visage.

- On a passé une bonne après-midi ? Il n'est pas si terrible finalement ?

Mon sourire disparut instantanément.

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Je ne l'épouserai pas. Et ce, uniquement parce que cela contrariera Istran. J'ai hâte de voir sa tête lorsque je refuserai la main de Xarent.

Ignis s'écarta pour me laisser passer. Je pris la direction de ma chambre avec lenteur, imaginant la détresse dans le regard d'Istran le jour de mon soi-disant mariage. Alors que je refermai la porte, Ignis m'interpella de l'autre bout de la cour.

- Ne sois pas si sûr de toi. Tout peut encore changer d'ici là.

Je claquai la porte sur cette dernière phrase. Songeant que peut-être, je n'étais pas si sûre de moi.

Dès le lendemain, de nombreuses personnes vinrent nous rendre visite. Tous s'étonnaient de la même chose. Pourquoi avais-je été élevée loin de la cour ? Et comme les potins allaient bon train, en quelques heures à peine, les rumeurs m'avaient affublée de toutes les difformités possibles et imaginables. De ma chambre où j'essayais de lire, j'entendais Istran et Ignis tenter d'expliquer mon éloignement de la cour.

- Dragonne n'a rien d'anormal. C'est une jeune femme bien sous tous les aspects.

- Dans ce cas, pourquoi n'a-t-elle toujours pas été présentée à la cour ?

- Et pourquoi n'est-elle pas à vos cotés pour prouver vos dires ?

- Bon tout cela a trop duré.

- Istran calme toi.

- Ignis ça suffit. Si Dragonne a été tenue à l'écart de la cour c'est parce qu'elle a été éduquée par un précepteur Sylvari et que ce dernier ne voulait pas quitter sa demeure, perdue au fin fond de la province de Metrica. Ce n'est pas bien compliqué. Maintenant, j'aimerais que vous cessiez de venir nous importuner dans notre maison.

J'entendis des gens protester et une porte claquer violemment. Je sortis en silence de ma chambre et j'observai Istran et Ignis caché derrière un poteau.

- Quelle chance elle a de pouvoir ignorer ces vipères.

- Détends-toi Istran. Bientôt, tout sera fini. Dragonne épousera Xarent et ces gens arrêteront de palabrer inutilement.

J'étais ravi qu'Istran pense que son calvaire prendra fin dans quelques semaines. Si seulement il pouvait imaginer que le jour de mon « mariage » marquerait la fin de sa tranquillité. Personne ne sortit de la maison durant le reste de la journée.

Le jour suivant, lorsque je sortis de ma chambre pour aller prendre mon petit déjeuner, je découvris Istran debout dans la cour intérieure avec, à ses pieds, une montagne de lettre. En m'entendant arriver, il tourna la tête vers moi, une lettre à la main.

- J'aurais dû te montrer à la cour plus tôt. Sais-tu ce que sont toutes ces lettres ?

- Des calomnies à mon sujet ?

- Des demandes en mariage. Oh, bien sûr tu es déjà fiancée, je vais donc devoir toutes les refuser mais... j'ai bien fait de te garder. Tu m'es très utile finalement.

Des propositions de mariages ? Sans même m'avoir rencontrée ? En premier lieu, je me sentis flattée. Toutes ces familles qui seraient ravies de m'avoir comme fille alors qu'Istran m'avait toujours traitée plus mal que la dernière des domestiques. Je baissai les yeux vers le tas de lettres. Elles étaient bien trop nombreuses pour que je puisse les compter. Tous ces jeunes hommes que j'allai avoir le loisir de rejeter au plus grand désespoir d'Istran. Je le forcerai à croire que je suis intéressée par l'une ou l'autre des propositions et le moment venu, je rejetterai le jeune homme en question de la même manière qu'Istran m'a toujours rejetée. Je sentis une vague de pouvoir en moi et je me mis à sourire. Ma joie était si intense. Istran me regardait sans comprendre et c'est à cet instant que je pris une énorme claque qui me coupa le souffle. Istran n'avait pas bougé, mais mon esprit avait reformulé le problème qui se posait à moi. D'un côté, j'aurais tout le loisir d'agir en diva et de faire tourner Istran en bourrique. Mais de l'autre, il aurait tout autant le loisir de me mettre un couteau sous la gorge pour me faire épouser celui qui me plairait le moins ou qui lui correspondrait le plus. Istran fit signe au domestique le plus proche de ramasser les lettres.

- Répondez négativement aux demandes. Mais avec courtoisie, on ne sait jamais.

En prononçant cette dernière phrase, il me regarda comme s'il avait compris le fond de ma pensée. Puis il tourna les talons et disparut dans la salle à manger. Je regardai le domestique rassembler les lettres, déjà éreinté par la tâche qui lui avait été confiée. Je suivis Istran dans la salle à manger pour y prendre mon petit déjeuner, mais je ne pris pas la parole de tout le repas.

Le fouet : cet art méconnuWhere stories live. Discover now