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Dix.

Je fais dix pas, et je m'arrête. Les pensées se bousculent dans ma tête. Rapidement, je claque mes doigts, dix fois. Dans le couloir, les autres personnes circulent autour de moi. Elles essaient de ne pas me fixer. Elles savent comment faire, elles marchent la tête baissée. Pas un seul visage expressif en vue.

Je continue mon chemin vers la classe, la tête baissée. Dix pas de plus, dix claquements de doigts, et je recommence. Encore, et encore, et encore.

J'ai une autorisation spéciale qui me permet d'arriver en retard en cours, ainsi je n'ai pas à m'inquiéter d'être le dernier dans le couloir quand la cloche a déjà sonné. Un membre de l'administration passe devant moi, et hoche la tête dans ma direction. Les lèvres pincées, je hoche la tête en retour, une fois.

Oh non... J'attends qu'il ne me regarde plus, et je hoche la tête neuf fois de plus. J'avais l'habitude de pleurer quand je me découvrais des nouveaux cycles de dix, mais cela dure depuis si longtemps que je ne trouve même plus la force de verser des larmes à présent.

Tout a commencé durant ma première année de lycée. J'avais des amis à l'époque, on traînait ensemble et on riait, comme des adolescents normaux. Et puis tout a changé.

Vers le milieu de l'année, j'ai commencé à faire les choses différemment. Des petits détails au début, comme taper mon stylo sur la table en nombres pairs, ou ranger les livres de la bibliothèque pour qu'ils soient bien droits.

Et puis en deuxième année, j'ai commencé mes "dix". Mais il n'y a pas que ça : il y a certaines choses que je dois réagencer à ma manière si elles ne sont pas organisées comme je le veux, par exemple. Et puis, j'ai récemment pris l'habitude de nettoyer et ranger ma chambre tous les jours. Des petites choses comme ça.

Je l'ai dit à mes amis, cette année-là. Au début, ils faisaient comme si cela ne changeait rien, mais je voyais bien que ça les dérangeait. Alors, naturellement, je me suis éloigné d'eux. Ils n'ont pas besoin d'un cinglé comme moi à leurs côtés. Et puis, mes TOC étaient devenus mon quotidien.

J'arrive enfin devant la porte de mon cours d'anglais de dernière année. J'ai cinq minutes de retard, comme d'habitude, et toute la classe me fixe pendant que je rentre dans la salle. Comme d'habitude. Je fais des grands pas jusqu'à mon bureau, pour être sûr d'y arriver en moins de dix.

J'y arrive en sept. Je m'assois et je tape doucement mes pieds pour compléter le cycle. Miss Baret se met à parler, et personne n'entend mes doigts claquer. Tout ce petit manège est devenu une routine pour moi. Je pense que n'importe qui pourrait comprendre que j'aime la routine.

Mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Quand je le sors, l'écran affiche un message de ma mère, qui me demande si j'ai besoin de mes anxiolytiques. 

Ma mère vérifie tout le temps mes boîtes de médicaments pour être sure que je les prends bien. Je ne sais pas si elle ne me fait pas confiance ou si elle a peur que j'oublie, mais dans tous les cas, me contrôler est devenu une véritable obsession pour elle. Je suppose que ce n'est pas une si mauvaise chose, mais elle est vraiment beaucoup trop inquiète pour moi. Pour tout et n'importe quoi, en fait. Je pense que c'est à elle je dois mon anxiété.

Mon père, en revanche, est vraiment mal à l'aise avec ma... situation. Il préfère éviter le sujet. Il paie mes médicaments et tous mes rendez-vous, mais il n'aime pas vraiment en parler ouvertement. On ne parle quasiment jamais, d'ailleurs. Je m'en fiche. Ce n'est pas la personne la plus intéressante que je connaisse.

Je réponds rapidement à ma mère en lui disant que je n'ai pas besoin de mes médicaments, et je finis par un cœur. Le cœur la rassurera sûrement.

Ten | Newtmas FRWhere stories live. Discover now