huit

1K 103 29
                                    

Thomas marche jusqu'à la table et la parcourt des yeux. Thomas, le garçon qui a stoppé la terreur nocturne de Chuck avec son simple prénom. Thomas, le garçon que j'ai vu dans le hall principal.

Il est un peu plus petit que moi, de quelques centimètres seulement, mais sa carrure est plus large que la mienne. Il a l'air d'avoir mon âge. Des cheveux bruns courts, un nez retroussé, de grands yeux marrons. Toujours la même expression un peu perdue sur le visage.

Il finit par venir s'asseoir directement en face de moi, ce qui pour une raison que j'ignore me fais frissonner.

Thomas lève les yeux vers moi, et j'ai l'impression que mon cœur s'est arrêté de battre.

"Salut," me dit-il.

"Salut." Je viens de me rendre compte que je retenais mon souffle depuis tout à l'heure. Qu'est-ce qui ne vas pas chez moi ?

"Thomas, je te présente Newt," intervient Chuck.

Pendant ce temps, nous n'avons pas cessé de nous regarder. Je baisse la tête pour rompre le contact visuel. Je n'aurais pas pu le regarder dans les yeux plus longtemps.

"Je t'ai vu hier dans le hall," dit Thomas. Je relève la tête.

"Oh, oui." J'essaie de prendre un ton étonné, mais je suis un très mauvais menteur. Bien sûr que je me souviens. S'ils ont compris que je mentais, ils restent quand même silencieux.

"Moi aussi j'étais là !" dit Zart.

"Non tu n'y étais pas," lui dit Winston. "Zart est un menteur pathologique," me précise-t-il. Je m'apprête à hocher à la tête mais je me retiens, parce que je ne voudrais paraître cinglé à hocher la tête dix fois.

"Alors, qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?" demande Minho.

"Minho–"

"Tout va bien, Chuck," dis-je au plus jeune. Je suis surpris de prendre aussi bien sa question. "Je suis ici pour plusieurs raisons. Principalement des TOC," j'explique.

Thomas me regarde et hoche la tête. En temps normal, si quelqu'un faisait cela, je décrirais ce regard comme "perçant". Parce que quand quelqu'un me regarde, cela me fait l'effet d'un coup de couteau. Mais pas avec Thomas.

Soudain, je prends douloureusement conscience que je n'ai jamais fini mon dernier cycle de dix claquement de doigts.

Et que j'ai oublié à quel chiffre j'en étais.

Voilà, c'est exactement ce genre de situation que j'appréhendais. C'est un établissement psychiatrique, cela ne devrait pas être bizarre. Mais je suis entouré des gens les plus normaux d'ici, et la première chose qu'ils verront de moi, c'est une crise d'angoisse.

Quelles sont mes options ? Je ne peux pas me lever et m'en aller, parce que je n'ai toujours pas fini les dix précédents. Bien sûr cela n'a aucun sens, mais c'est comme cela que les choses fonctionnent chez moi. Je pourrais toujours recommencer, mais j'aurais quand même une crise d'angoisse si je faisais cela. Je pourrais demander à Chuck s'il a compté comme il le faisait hier, mais cela m'étonnerais que ce soit le cas.

Comment ai-je pu laisser cela arriver ? Je n'ai jamais oublié à quel chiffre j'étais. C'est comme oublier de cligner des yeux, c'est juste inimaginable. Comment diable ai-je pu oublier cela ?

Je serre les poings et essaie de me concentrer, je retourne mes pensées dans tous les sens pour essayer de me souvenir de ce satané chiffre. Après quelques secondes, je finis par abandonner.

Peut-être que je peux faire dix autres claquements de doigts, et cela m'aidera à oublier mon dernier cycle inachevé parce que j'aurais atteint un dix à la fin ?

J'essaie de garder un visage normal alors que j'ai l'impression que tout s'arrête à l'intérieur de moi. Seule ma jambe gauche continue de trembler horriblement. Une de mes habitudes causées par le stress. J'essaie de contrôler ma respiration pour éviter de m'effondrer devant tout le monde.

"Hé, Newt ?" j'entends. Thomas me regarde avec un air inquiet.

"Oui ?" dis-je, mais cela sors plus comme une affirmation douloureuse que comme une question.

"Tu vas bien ?" me demande-t-il. Chuck remarque ce qu'il se passe et se tourne vers moi.

"Newt, il y a un problème ? Tu as besoin de quelque chose ?" demande-t-il en plaçant sa main sur mon dos. Je grimace. Le contact physique quand je suis angoissé ne fait qu'empirer les choses.

"Chuck, ne le touche pas," ordonne Thomas. Je lève les yeux vers lui. Chuck retire sa main et je pose les miennes sur le banc. Je ne peux pas croire que cela m'arrive maintenant. Bien sûr je ne pouvais pas être normal pour ne serait-ce qu'une demi-heure.

"Qu'est-ce qui t'arrive ?" demande Chuck. Je veux lui dire, mais pas avec tout le monde autour. Je lui chuchote à l'oreille.

"J'ai, euh, oublié à quel chiffre j'en étais." Je me sens si stupide d'avoir une crise d'angoisse pour une raison si ridicule. Je suis étonné que Chuck ne me rie pas au visage. Il hoche la tête.

"Je sais où sont rangés les fauteuils roulants, je vais aller t'en chercher un et te ramener à la chambre," me dit-il.

"J'aimerais éviter d'empirer mon cas," dis-je. Chuck se met à rire.

"Fais-moi confiance, ce ne sera pas le cas," dit-il en se levant. "Je suis de retour dans une seconde."

"Où est-ce qu'il va ?" demande Minho.

"Nulle part, ne t'occupes pas de ça," réponds Thomas. Minho hausse les épaules et replonge dans sa conversation.

Thomas se penche sur la table vers moi.

"Ecoute, Newt, je sais comment tu sens là tout de suite. Je comprends. Je ne sais pas ce qui t'as mis dans cet état, mais je comprends." Je suis bouche bée. Apparemment notre cher Tommy au regard perdu n'est pas si perdu que cela.

"Je, euh-," j'essaie de commencer avant que Thomas ne me coupe.

"Tout va bien, tu n'as pas besoin de parler." C'est comme s'il lisait dans mes pensées. Sans réfléchir, je hoche la tête, avant de jurer parce que je dois maintenant hocher neuf fois de plus. Pour la première fois depuis que je connais Thomas, il se met à rire. Malgré la situation catastrophique, je ris un peu aussi. C'est sûrement dû à l'anxiété.

Chuck revient avec un fauteuil roulant et s'arrête à côté de moi.

"Chuck, tu as à peine assez de force pour ouvrir la porte principale. Laisse-moi faire," dit Thomas. Pour je ne sais quelle raison, m'asseoir dans le fauteuil empire encore plus mon état. Mon cœur se met à battre à une vitesse folle et mes jambes tremblent dans tous les sens. Thomas se met derrière moi et commence à pousser le fauteuil.

"Hé les gars, où est-ce que vous allez ?" demande Winston. Minho hoche la tête pour insister.

"Je vous ai dit de ne pas vous occuper de ça," réplique Thomas, plus sèchement cette fois. Minho lève les bras en signe d'abandon et se retourne. Thomas me conduit dehors. Ma tête commence à tourner.

"Tiens bon, on arrive bientôt," continue Thomas. Je ne réponds pas, mais mes pensées dérivent vers la nuit dernière. Si seulement il pouvait me bercer comme il l'a fait avec Chuck... Malheureusement, je sais très bien que ce serait inefficace dans mon cas. Ce garçon est assurément un héro pour Chuck. Qu'est-ce qui pose problème chez lui, alors ? Qu'est-ce qui l'a conduit ici ?

Nous arrivons enfin à la chambre. Thomas m'emmène à l'intérieur et ferme la porte derrière nous.

Ten | Newtmas FRWhere stories live. Discover now