Ten | Newtmas FR

quarante-six

Tout est flou. D'une certaine manière c'est une bonne chose, parce que plus je reste concentré sur l'instant présent, plus grandes sont mes chances de paniquer. Par exemple, après avoir mis la chemise que ma mère m'a apporté, je ne me rappelle plus m'être changé.

Des petits détails retiennent mon attention. Des choses comme les ronflements de Chuck tandis que ma mère pousse mon fauteuil hors de la chambre, ou la senteur de son parfum —celui qu'elle préfère, si je me souviens bien. L'air frais de Novembre dehors me glace les mains et le nez.

Je suis épuisé, mais mon anxiété commence à me réveiller au fur et à mesure que nous avançons dans le bâtiment principal. Apparemment je n'ai pas tant de choses que ça à faire. Ma seule vraie mission consiste à réussir l'examen. Il sera fait par quelqu'un qui ne travaille pas à TIMI, ce qui est un avantage pour moi. Mon seul désavantage, c'est littéralement tout le reste.

Nous nous arrêtons devant une grande porte noire, et ma mère passe sa main dans mes cheveux, me faisant grimacer.

"Tu es prêt, mon chéri ?" demande-t-elle.

"Je ne sais pas comment répondre à ça," dis-je, plus pour moi-même. Je ne suis pas prêt pour beaucoup de choses qui viendront avec ça. Je ne suis toujours pas sûr d'aller assez bien pour ça ; surtout depuis la crise de Chuck la nuit dernière. Thomas a l'air de penser que je suis prêt, mais il n'est pas pour me le dire maintenant.

"De préférence par un oui," me dit ma mère. Je ne sais pas pourquoi j'ai pris la peine de faire autre chose que mentir.

"Alors oui, je suis prêt."

Elle ouvre la porte que je maintiens tandis qu'elle pousse mon fauteuil dans la salle. Elle n'est pas trop grande. Je reconnais quelques personnes de TIMI —dont bien évidemment le docteur Paige et le docteur Janson—, entourées d'autres personnes que je ne connais pas. Ce n'est pas très compliqué de deviner qui est le juge parmi eux.

C'est maintenant que je commence à me demander à quoi ressemble une personne saine d'esprit. C'est comme quand j'étais plus jeune et que j'étais accusé de mensonge pour quelque chose, je réfléchissais minutieusement à chaque petite chose que je faisais pour être sûr de ne pas avoir l'air d'un menteur. Est-ce que une personne normale aurait l'air nerveuse, ou détendue ? Est-ce qu'elle s'assiérait comme ça ? Qu'est-ce qui pourrait donner l'impression que je dois rester ici ?

Mon père est déjà là. Je ne l'ai pas vu depuis un moment, alors quand je rencontre son regard, ça me rend encore plus anxieux. La première chose qui me vient à l'esprit, c'est le jour où il a rencontré Thomas et a été ouvertement impoli avec lui. Un sentiment de défensive monte en moi, mais je ne dois pas me concentrer dessus pour l'instant. J'ai plus important à faire.

On m'amène vers le devant de la pièce, et mon esprit est ailleurs. C'est mieux comme ça. Le seul problème, c'est que la majorité des endroits où mon cerveau s'échappe sont liés à Thomas. Par exemple, quand j'aperçois Ava Paige, tout ce que je peux me demander, c'est ce qu'elle fera à Thomas si je pars.

Mais peut-être que c'est une bonne chose à garder à l'esprit, parce que le seul moyen de l'arrêter, c'est de passer ce procès. Je ne veux pas quitter Thomas, mais je veux le garder en sécurité comme il l'a fait avec moi. Je le lui doit.

Mes parents parlent à l'avocat, mais je ne les écoute pas. Je connais déjà mon rôle. Etre normal. C'est tout. Mon fauteuil roulant et ma cheville cassée n'aident pas vraiment mon cas, si on considère la manière dont c'est arrivé. Mais je dois continuer à m'accrocher au fait que c'était entièrement un accident. C'est une autre chose dont je dois m'inquiéter.

C'est irréel d'être là, en fait. Après tout ce qui s'est passé, seuls quelques moments de ma présence ici seront décisifs. Bien sûr, ça pourrait se terminer aussi vite que ça commencera une fois que nous aborderons le sujet de mon escapade. Je ne sais pas vraiment si j'ai commis des crimes personnellement, mais je sais que Thomas l'a fait.