dix

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Thomas se tient dans le cadre de la porte en me regardant avec des yeux inquiets. Je me surprend à tapoter le lit à côté de moi en lui rendant son regard. Les deux tapotements se transforment en dix, mais je n'y fais même pas attention.

Il suit mon geste et vient s'asseoir près de moi, les jambes en tailleur. Je prends le temps de regarder son visage. De vraiment le regarder. Ses yeux sont légèrement enfoncés, avec des cernes autour. La lumière joue avec les traits de son visage, accentuant les marques de la fatigue accumulée. Même quand il me sourit en me regardant, cela semble irréel. Comme un fantôme. Pas étonnant qu'il ait abandonné, il a l'air désespéré. Presque vide.

"Je pourrais sûrement deviner qui aurait pu être quoi dans une autre vie," commence Thomas. "Chuck aurait été un enfant avec des tonnes de jeux vidéos et des tonnes d'amis, que tout le monde aurait aimé. Au lieu de ça, il est ici et tout seul. Enfin, il m'a moi. J'aurais sûrement été l'élève qui suit attentivement en cours, membre de l'équipe de baseball, je n'aurais peut-être pas eu des notes excellentes, mais j'aurais été quelqu'un sur qui les autres auraient toujours pu compter. Mais à quoi bon rêver si tu sais pertinemment que rien de tout cela n'arrivera ?" finit-il, le regard vide fixé sur la fenêtre.

"Thomas–," je commence, mais quelque chose dans son regard immobile me coupe dans mon élan.

"Pourquoi es-tu ici ?" reprend Thomas. Je pourrais lui dire de s'en aller ou de ne pas me poser la question, mais j'ai l'impression qu'il devrait savoir. Ce n'est pas quelque chose dont je suis fier, mais pourquoi ne pas lui dire à ce stade ? Je suis là, alors forcément il y a une raison.

"A cause d'un bon nombre de problèmes. Je suis trop insensible pour pouvoir encore ressentir des émotions, je n'ai plus la motivation de faire quoi que ce soit mais j'agis quand même parce que je sais que je dois le faire et que tout mon corps me réclame de le faire. Je panique pour tout et n'importe quoi, mais je ne peux pas empêcher tout et n'importe quoi d'arriver quand même. Je ne veux pas sortir de mon lit le matin, mais je dois faire mes routines ou sinon j'ai l'impression de suffoquer. Tout ce que je fais, je dois le faire dix fois. Et j'ai constamment envie d'abandonner, mais je ne peux pas parce que je dois continuer pour mes parents. J'en ai marre d'être une constante déception."

Thomas détourne son regard de la fenêtre et pose ses yeux sur moi. Après quelques minutes de silence, il se racle la gorge. "Dix fois ?"

"Dix."

"Mais alors pourquoi peux-tu parler sans avoir à répéter dix fois la même chose ?"

"Qui sait, c'est peut-être la prochaine étape," je lui réponds. Il hoche la tête.

"Pourquoi est-ce que tu ne peux pas juste... arrêter ?"

"Eh bien, pourquoi est-ce que tu ne peux pas juste arrêter de cligner des yeux ?" je lui demande automatiquement. C'est devenu une réponse naturelle après avoir entendu cette question mille fois.

"Oh. Alors qu'est-ce que tu fais dix fois ?" continue Thomas, et pour une raison inconnue je trouve sa question plutôt amusante.

"J'ai ma routine de marche, je fais dix pas et puis je dois claquer dix fois mes doigts." Thomas sourit légèrement en me regardant dans les yeux.

"J'aime beaucoup ton accent," me dit-il. Je sens mes joues chauffer tandis qu'il rit doucement. Ce n'est pas la première fois qu'on me fait la remarque, alors ce n'est pas inhabituel pour moi.

"C'est britannique. Côté paternel, plus précisément. Ma mère est d'ici, et nous avons déménagé quand j'avais cinq ans," lui dis-je en me détendant un peu. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu une conversation aussi légère avec quelqu'un.

"J'avais deviné. C'est adorable." C'est la seconde fois qu'il fait une remarque de ce genre. Est-ce Thomas est gay ? Sinon pourquoi dirait-il ça... Enfin je veux dire, il pourrait y avoir d'autres raisons.

"Merci," je réponds, en me maudissant intérieurement. Merci ? Tu parles d'une réponse.

Je n'ai jamais vraiment envisagé quelqu'un de cette manière, en fait. En grandissant je me suis attaché à quelques filles, mais c'était plutôt quand j'étais enfant. Je ne ressens pas le besoin de me coller une étiquette, cela me semble complètement absurde. Je n'ai jamais été très à l'aise avec les filles, mais j'en ai déduit que c'était normal. Je suis juste étrange.

Soudain, Alby surgit dans mes pensées, faisant ressortir toute mon anxiété. Je n'ai pas besoin de ça maintenant, j'ai besoin d'aller mieux. Je ne peux pas...

"Avec plaisir. Alors, dis-moi autre chose que tu dois faire dix fois " reprend Thomas. Son regard est presque sournois, et je me demande pourquoi.

"Eh bien, à peu près tout en fait," je lui réponds en évitant de le regarder dans les yeux.

"Donc tu te laves les mains dix fois ?"

"Eh bien, non. Mais je me les lave pendant dix minutes."

"Tu as un chronomètre ? Ou bien–"

"Je compte dans ma tête, en fait." Je lève enfin les yeux, et son regard est toujours posé sur moi.

"Si quelqu'un t'embrassait, est-ce que tu l'embrasserais une fois, dix fois, ou pendant dix minutes ?" demande Thomas. Mon cœur rate littéralement un battement tandis que je croise les bras en essayant de me recroqueviller derrière.

"Je, euh, je ne sais pas en fait. Cela ne m'est jamais arrivé, alors je ne peux pas le dire. Non pas que j'attende que cela m'arrive. Je dois juste encore le découvrir. Encore une fois, je n'attend pas ça avec impatience ou–" je m'arrête quand Thomas se met à rire. Mes joues continuent de rougir, cela ne m'aide pas vraiment.

"Détends-toi Newt," dit-il en passant une main dans ses cheveux. "De toute façon, les TOC, ce n'est pas ce qu'il y a de pire au monde. Je suis désolé pour ce que j'ai dit tout à l'heure. Je pense que tu peux aller mieux, même si je suis une cause perdue." Un petit silence s'installe, jusqu'à ce que je trouve le courage de parler à nouveau.

"Je pense que nous avons mal commencé tous les deux," dis-je. Thomas étouffe un petit rire.

"Oui, je vois ce que tu veux dire," me répond-il. Je lui tends ma main, ignorant ma nervosité.

"Salut, moi c'est Newt." Thomas n'hésite pas un instant et attrape ma main. Il la serre dix fois avant de me regarder et de répondre.

"Tommy."








Hey !
Je ne suis pas vraiment fan de laisser des NDA dans mes chapitres quand j'écris, mais bon on vient d'atteindre le chapitre dix d'une histoire qui s'appelle littéralement Dix, ça méritait bien une petite intervention de ma part, non ? Allez, quelques mots et je vous laisse tranquilles :)
Je tenais à remercier toutes les personnes qui ont cliqué un jour sur cette histoire, je sais qu'on n'est qu'au dixième chapitre, mais pourtant il y a déjà plus de lectures et de retours positifs que je pensais en obtenir en si peu de temps ! Traduire cette histoire me tiens énormément à cœur parce qu'elle m'a beaucoup apporté au moment où j'en avais besoin, alors si j'ai la possibilité de vous transmettre à vous aussi toutes ces belles émotions, je n'hésite pas un seul instant. En plus ça me permet de la relire encore une fois, alors que demander de plus ? Petite information au passage, je traduis tout sans site de traduction, pour coller au mieux à l'histoire tout en gardant un style d'écriture assez naturel. J'espère que le résultat n'est pas trop mal ^^
Remerciements à Ava bien évidemment, qui m'a permis de me lancer dans cette belle aventure. N'hésitez pas à aller lui laisser un petit commentaire sur son profil si vous aimez sa fiction, elle le mérite amplement <3
Sur ce j'arrête de parler (ou plutôt d'écrire), et je vous dis à dimanche pour un nouveau chapitre !

Ten | Newtmas FROù les histoires vivent. Découvrez maintenant