Chapitre 14: L'assemblée des sorcières

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Arabella 

Arabella dégagea son visage des mèches blondes qui lui retombaient devant les yeux. Elle bâilla et allongea ses jambes, en repoussant la terre noire logée sous ses bottes. La jeune femme s'ennuyait à mourir. Il ne passait pas une minute sans que les feuilles ne déversent quelques gouttes de pluie au sommet de sa tête, avec un ploc, ploc répétitif et désagréable, tout près de ses oreilles. Il y avait eu une averse, plus tôt dans la journée. L'humidité rendait l'odeur de l'humus encore plus forte et insupportable.

Arabella détestait l'humus, les arbres, la terre... la forêt. Elle, elle aurait voulu vivre en ville ! A Sylvertown l'animée, la vivante, où les dames étendaient leurs riches toilettes de soie, dentelle, tulle et autres tissus chers, brillants, teints et magnifiques. Elle, elle n'avait que des robes et chemisettes de coton fin, noires ou blanches, des bracelets bricolés avec des bouts de métal trouvés ici et là et de vieilles bottes de cuir abîmé, qu'elle avait tenté d'astiquer tant bien que mal. Elle s'était cousu une tenue, la veille au soir. Une robe sombre, sur laquelle elle avait enfilé un haut plus court et elle avait couvert ses épaules avec une étole. Les grandes dames ne se baladent jamais bras nus.

Mais elle n'était pas une grande dame, qui espérait-elle tromper ? Elle, elle n'était que la « fille de la pute », la pauvre erreur qui n'aurait jamais dû naître. Mais de toute façon, à qui sa présence importait ? Elle allait faire comme sa mère de toute façon, il n'y a pas de vertu chez ces gens-là. Elle aurait voulu crier, plaider, devant le monde qu'elle valait mieux que ça, qu'elle pouvait s'élever dans l'échelle sociale et aller vivre en ville, chez les grands monsieur et les grandes dames. Mais le monde ne la croyait pas. Pour le monde, elle ne serait jamais qu'Arabella Fascinatrix, la fille de la pute, destinée à se terrer dans les bois à jamais.

Mais elle, elle demeurait persuadée qu'elle valait mieux, peu importe ce que les autres en pensaient. En s'obstinant à la rabaisser, ils ne faisaient que la motiver encore plus. D'ici quelques années, elle leur aurait apporté des preuves de sa supériorité, et ils devraient s'agenouiller devant elle et l'admirer. D'ici quelques années, elle connaîtrait le plaisir de la vie en ville, bruissant d'animation.

Mais ici aussi, il y avait de l'animation. Les représentants des sorciers s'étaient réunis la veille des négociations, pour se présenter et apprendre à se connaître. La bonne cohésion d'un groupe est importante, quand ses membres doivent plaidoyer ensemble. Mais dans les faits, ils ne s'étaient toujours pas adressé un mot. Les enchanteurs remerciaient et félicitaient leurs ambassadeurs, Alice et Paul s'embrassaient sous la voûte sylvestre, pendant qu'Ambre attirait toute l'attention et virevoltait d'un interlocuteur à l'autre, Kaudric s'efforçait de lui voler la vedette, en présentant à la populace une frêle jeune femme, la Mama Sorcera était en grande conversation avec deux étrangères, et l'Eclair de Feu faisait l'éloge de sa fille à tous les passants. L'adolescente, postée près de sa mère était loin d'être ravie, ses lèvres étaient froissées par une moue boudeuse et elle affichait une expression renfermée et menaçante. Elle lui faisait un peu penser à un porc-épic, avec un message très clair : « me touche pas ou tu vas le payer ! ».

Enfin, assez divagué sur la fille hérisson. Elle se tourna vers quelqu'un qui lui remontait toujours le moral. Céril était là, à l'autre bout de la clairière, entouré par toute sa famille, mais il affichait quand même une expression morose, les yeux brillants et la bouche tordue de tristesse. Quel enfant gâté ! Elle, elle aurait donné n'importe quoi pour avoir une famille aussi chaleureuse. Mais tout ce qu'elle avait, c'était une mère qui lui avait à peine dit aurevoir, entre deux clients, quand elle était partie pour cette réunion.

Elle, elle était seule, dans cette clairière pleine de monde.

Sa grand-mère avait bien essayé de l'intégrer, et avait réussi. Tous les enfants sorciers jouaient avec Arabella, « Bella », quand elle était la petite-fille de la vieille Claire. Après tout, Claire, elle n'avait pas choisi le métier de sa fille, ce n'était pas sa faute si elle n'avait pas de vertu. Eh puis, quelques années plus tôt, sa grand-mère était morte. Durant les obsèques, les enchanteurs avaient affiché un soutien de façade pour sa famille, puis ils s'étaient tous détournés de la « fille de la pute ». Faut croire qu'Arabella avait choisi le métier de sa mère.

MagissaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant