Chapitre 14: L'assemblée des sorcières

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Inès

—Bonjour, vous êtes bien la fille de Kathy ? Oh, suis-je bête, vous lui ressemblez tellement qu'il n'y a pas de doutes possibles.

Inès répondit à la vieille dame qui venait de s'exprimer par un sourire crispé. Pourquoi personne ne lui demandait comment elle allait, si elle se sentait bien, si elle n'était pas nerveuse avant les négociations, ou juste de se présenter ? Pourquoi personne ne s'intéressait à elle, sinon à travers sa mère ? Pourquoi personne ne prenait la peine d'apprendre à la connaître avant de s'exprimer comme s'ils savaient tout d'elle, sous prétexte qu'elle ressemblait à sa mère ?

Inès n'était pas une sans-cœur. Elle avait beaucoup pleuré, dix ans auparavant. Elle avait mis du temps, à faire le deuil de ses parents. Mais maintenant, elle voulait laisser cette histoire derrière elle. L'automne était passé et ses furieuses tempêtes avait emporté toutes les feuilles mortes, autant d'images qui lui restaient de ce jour atroce, envolées. Sa prime enfance, envolée. Le vide de l'hiver lui avait succédé. Elle avait avancé, dans le néant blanc, ou plutôt noir comme les murs de l'orphelinat, guidée par son dernier souvenir, celui des grands yeux verts et malicieux de son père, et du chatoiement des boucles de sa mère. Quand Kaudric était venu la chercher, elle avait cru au printemps, plein de bourgeons aux vastes possibilités, plein de promesses d'avenir... mais dans ce printemps, tout le monde voulait la renvoyer en automne, au milieu des feuilles mortes.

Kaudric lui-même avait voulu l'y envoyer. Inès se rappelait leur première rencontre, trois semaines plus tôt. Le chef du clan des éléments cachait mal le claquement de ses dents, et il n'arrêtait pas de frotter ses mains gantées l'une contre l'autre, dans un vain effort pour se réchauffer. Il avait pris la jeune fille en pitié et mis sa grosse cape sur ses épaules. Ils étaient gentils, à l'orphelinat, et faisaient tout pour améliorer le quotidien de leurs pensionnaires. Mais, en tant que sorciers, ils n'avaient pu s'établir ailleurs que dans les ruines d'un vieux châteaux, et malgré tout leurs efforts pour consolider les murs, le froid s'infiltrait dans le bâtiment avec une facilité déconcertante.

Ils n'avaient pas le sous, et tous les orphelins étaient réduits à porter des chemises amples en tissu léger, pas cher, et qui ne protégeait en rien de l'air glacé. Inès avait cousu elle-même les volants sur sa robe, et elle avait amélioré les tenues des plus petits, en essayant de les rendre plus chaudes, sans grand succès malheureusement. C'était comme ça, à l'orphelinat, ils devaient s'entraider. De temps en temps, des sorciers venaient leur apporter du soutient, mais bien souvent, ils se devaient se débrouiller seuls. Alors les plus grands s'occupaient de leurs cadets, pendant que les créateurs de l'orphelinat se démenaient pour trouver de l'argent, et cacher leur présence aux chasseurs de sorcières.

Inès se rappellerait toujours ce jour-là comme le premier où elle avait senti la chaleur d'une cape sur ses épaules. L'hiver touchait à sa fin et elle était enfin réchauffée. Elle n'aurait jamais cru qu'elle le serait en présence d'un inconnu. Mais Kaudric avait quelque chose de rassurant. Elle ne savait pas à quoi cela tenait, peut-être que c'était ses yeux verts forêt, qui lui rappelait ceux de son père ?

Inès avait dû se faire violence pour se concentrer à nouveau sur la situation. Elle était face à face avec un homme, qui peu importe la couleur de ses yeux ou son apparente gentillesse restait un inconnu. La jeune fille avait senti sa gorge se nouer, au fur et à mesure que son angoisse montait. Pourquoi cet homme était venu la chercher ? Qu'est-ce qu'il voulait d'elle ? Il n'était quand même pas venu à l'orphelinat chercher une fille suffisamment désespérée pour accepter de devenir... non, il fallait qu'elle arrête de se monter la tête. Les responsables de l'établissement ne l'auraient jamais laissé entrer, s'il avait des intentions aussi malsaines. Ce devait être un homme de confiance. Mais elle ne pouvait avoir aucune certitude. Dans le doute, elle choisit d'attaquer la première.

MagissaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant