Chapitre 12: Zackaria

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En terre inconnue

Septième partie

Irène se serra un peu plus contre lui, inspira un grand coup, et reprit son histoire.

—Normalement, quand notre mère s'effondre, on doit pouvoir compter sur notre père. Mais mon père... il n'a pas tenu non plus. Il ne s'est pas écroulé comme maman, non, lui il a gardé son apparence de vieille statue éternelle. Mais, voilà bien ce que c'est : une apparence. La statue s'est détruite de l'intérieur mais le marbre est resté. Je ne sais pas ce qu'est le pire, entre une destruction totale ou partielle. Père restait là, pour gouverner le royaume, mais sa présence n'était que superficielle, il dirigeait à l'aveugle. Il ne faisait qu'acquiescer aux demandes des généraux et des seigneurs, sans même y réfléchir et il regardait la chambre de ma mère, une peine immense sur le visage puis il nous contemplait, nous aussi, ses enfants, avec cette même expression. Parfois, il semblait esquisser des gestes, pour nous soutenir, mais il ne les finissait jamais. Il était incapable de se concentrer sur autre chose que sa douleur. C'était compréhensible, il a perdu son fils et sa femme en même temps, mais nous, nous avions perdu notre frère et nos parents. Nos avions besoin de soutient et personne ne nous en a donné. Mais s'il n'y avait que ça... s'il n'y avait que nous... ce serait tellement plus simple. Mais Armelle et Gendric Sun ne sont pas seulement des chefs de famille, ce sont surtout des souverains, et quand les dirigeants tombent, le royaume s'effondre à son tour. Mon père avait lâché l'armée, les généraux devaient se débrouiller seuls et les soldats avaient perdu foi en leur roi. La frontière reculait chaque jour, nos guerriers étaient tellement désespérés qu'ils se battaient à peine et ma mère attendait le jour de sa mort. Quant à mon père, il n'a réagi que quand il a vu à quel point la situation était dramatique, il a envoyé des ordres, mais après tout cela, maintenant que la tristesse et la peur s'entremêlaient, il était incapable de réfléchir. Ses stratégies n'étaient pas pertinentes et elles menaient le royaume à sa perte encore plus sûrement que s'il n'avait rien fait. Il fallait que quelqu'un prenne les rênes, dirige le pays à leur place. Mais mes frères étaient trop jeunes, et moi... je n'y connais rien en stratégie, ou à tout ce qui est lié à la guerre. Mais je devais faire quelque chose. Alors, j'ai fait ce que je pouvais, en tant que femme. J'ai appelé au secours, je vous ai appelé. Et maintenant nous sommes mariés.

Thomas attrapa doucement sa main et caressa ses doigts un par un, avant de s'arrêter sur celui qui portait son alliance. Il examina l'anneau, leva la main de la jeune femme afin de faire jouer les rayons du soleil dessus, puis il le fit glisser le long de son doigt et le récupéra au creux de sa paume.

—Mais que faites-vous ? s'exclama Irène en s'écartant.

—Je veux que vous me parliez autrement qu'en tant que ma femme. Ne vous y trompez pas, je suis fier et heureux d'être votre mari, mais j'aimerais que vous répondiez sincèrement à cette question : comment ont réagi vos parents quand vous leur avez annoncé que vous allez vous marier ?

—J'ai attendu votre réponse avant de leur dire, et vu que vous aviez déjà commencé à préparer ce mariage d'urgence, ils n'ont pas pu s'y opposer. Je ne vous cache pas qu'ils n'étaient pas ravis, ma mère m'a demandé si c'était vraiment ce que je voulais, et ensuite elle n'a cessé de répéter que je n'étais pas obligée de prendre une telle décision. Mon père, quant à lui, s'est contenté de s'excuser de ne pas avoir géré la crise lui-même. Enfin, le lendemain nous étions partis pour Isme. Dans le carrosse, ma mère m'a confié que j'allais lui manquer et qu'elle était triste que je n'épouse pas un homme par amour, mais que j'avais fait le bon choix pour le royaume et qu'elle était fière de moi. Je pense aussi que le fait que je parte dans un autre pays, aussi éloigné d'Iréal et de la guerre l'a rassurée. Juste avant mon mariage, mon père m'a félicitée, pour tout ce que j'ai fait pour le pays. Il m'a remerciée, car grâce à moi, ma mère était sortie de sa chambre et parlait, mangeait à nouveau, les soldats avaient repris le combat, animés d'un nouvel espoir, et lui-même avait rouvert les yeux. Je... non... nous les avons forcés à se réveiller, à se reconstruire. Parce que nous nous sommes mariés. Vous leur avez redonné espoir.

MagissaWhere stories live. Discover now