Chapitre 9: Cymopolée

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Mémoire

Troisième partie

Assise nonchalamment dans sa cabane au bord du lac, la déesse de la vieillesse observait Iridia par l'une de ses fenêtres. Chaque vitre de la petite maison affichait une scène différente: un marché bruyant de l'Empire du Cobra, une chasse à l'ours dans celui des Glaces Éternelles, aux Vallées d'Argent, un château qui brillait sous la voûte céleste et sur les Terres d'Hémoglobine, une jeune femme qui s'époumonait dans la nuit noire.

D'un geste, la femme aux yeux millénaires claqua les volets de toutes les autres fenêtres et alors que la cadette de la Blood criait, elle murmura en chœur:

Pour aller jusqu'aux portes de l'infini
Afin de reprendre la vie
Tu trouveras à ton arrivée
Le secret de l'immortalité

Machinalement, Olda pianota sur sa peau diaphane et fit glisser ses doigts jusqu'à sa poitrine, cherchant un battement familier. Mais elle ne sentit rien. Évidemment. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus de pouls. Mais même après plus de deux millions d'années, elle ne s'y faisait pas. Elle avait toujours l'espoir fou, qu'un jour elle sentirait le sang circuler dans ses veines. L'espoir de se sentir vivre.

Elle sentit une brise s'infiltrer sous ses côtes. L'épouse éternelle n'eut pas le temps de se retourner qu'un vent frais la remettait sur pied. Elle vit une brume sombre s'entourer autour de sa taille et elle se retrouva le dos contre ce qui avait été le torse de son mari. À l'époque où elle avait un cœur.

—Nirvana, soupira-t-elle, qu'est ce que tu fais ici?

—À vrai dire je te cherchais, fit-il en posant son menton vaporeux sur la tête de sa femme.

Il laissa ses nuées se glisser entre ses mèches et s'emplit de leur odeur. Malgré le temps, elle n'avait pas changé et restait le parfum le plus agréable du monde divin. Il laissa son regard dériver jusqu'à la porte ouverte sur les arbres gris et raffermit son emprise sur la taille de son épouse. Elle était sa seule lumière, ses seules couleurs dans ce monde monochrome. Et il détestait quand elle était fâchée.

—Tu viens toujours ici pour bouder, continua-t-il, voyant qu'elle ne réagissait pas.

Le dieu de la mort sentit sa compagne se crisper. Zut, il l'avait vexé.

—Je ne boude pas! se défendit-elle brusquement.

—Ah, excuse-moi. Tu t'isoles ici quand tu es furieuse afin de broyer du noir toute seule dans ton coin. Tu connais un autre mot que bouder, pour définir cela?

La déesse de la vieillesse soupira et éluda la question. Elle désigna la vitre d'un mouvement de tête.

—Cela me touche énormément qu'il y ait toujours des gens pour chanter cette vieille berceuse. Qu'ils s'en souviennent.

Il eut envie de sourire mais depuis qu'il s'était changé en nuage, il était incapable de faire mieux qu'un effroyable rictus.

—Il faut dire que celle qui l'a inventé est inoubliable, lui glissa-t-il à l'oreille.

Olda ne répondit pas mais il vit son sourire se refléter dans un vieux miroir accroché au mur. Elle se retourna face à lui et se lova dans ses nuées. De ses doigts vaporeux, Nirvana lui frotta le dos. Les disputes ne duraient jamais longtemps entre les deux divinités, ils s'accrochaient l'un à l'autre et ne pouvaient pas supporter d'être séparés.

Ils auraient pu rester des heures enlacés, bercés par la chanson que criait la jeune femme affichée sur la vitre. Jusqu'à ce que le silence se fasse dans la pièce. Le dieu de la mort se tourna vers la fenêtre et vit que la fille s'était figée, face à la ville. S'il avait eu des sourcils il les aurait froncés.

MagissaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant