Magissa

Chapitre 10: Léonora

Assemblées

Quatrième partie

Près de trois heures plus tard, de lourdes bottes en cuir faisaient craquer les brindilles parsemant le chemin de terre qui menait à une clairière bien connue des sorcières. Le bruissement du vent entre les feuilles se mêlait à celui d'une longue cape qui cachait le visage de sa propriétaire. Seule indication de son identité, une obsidienne rattachée à une chaîne d'argent brillait sous les quelques rayons de soleil qui traversaient la voûte sylvestre.

Enfin, quand les arbres s'écartèrent, révélant un espace circulaire où une trentaine de personnes discutaient avec animation, l'individu mystérieux laissa tomber sa lourde cape, découvrant ainsi son visage. Dans l'assemblée, plusieurs soupirs de soulagement s'élevèrent alors que tous reconnaissaient les longs cheveux d'ébène, les sourcils à la courbe parfaite, les lèvres rouge sang et surtout, les inimitables iris d'améthyste de la jeune sorcière. Une seule femme râla :

—Léonora, tu aurais pu avoir l'obligeance d'arriver à l'heure. Nous accueillons les chefs de chaque tribu aujour...

Elle fut interrompue par une autre sorcière, plus âgée.

—Anaë, Léonora ne mérite pas tes reproches. Xachary nous a déjà informé que Nora devait se rendre à un conseil avec le roi, fit-elle en insistant lourdement sur le dernier mot.

La dénommée Anaë grogna mais n'osa protester. La quinquagénaire continua sur sa lancée.

—Léonora, durant ce conseil, le souverain a-t-il dit quelque chose à notre sujet ?

La comtesse traversa la clairière afin de se poster aux côtés de son interlocutrice et cheffe. Elle exécuta une brève courbette avant de se redresser pour faire face à l'assemblée.

—Je ne pense pas qu'on puisse considérer que le roi parle, la plupart du temps il ne fait que répéter les consignes de sa mère. Mais tout est qu'aujourd'hui notre chère tête couronnée a pris sa première décision. Je suis contente d'apercevoir que les chefs de chaque tribu sont réunis ici, car le roi Daniel des Vallées d'Argent désire vous rencontrer dans un mois, à la lisière de cette forêt, articula-t-elle, en regardant tour à tour chacun des membres de l'assemblée.

—Le roi désire nous rencontrer ? Quel honneur ! Vous ai-je déjà raconté la fois où j'ai failli rencontrer la reine Lucille ? J'avais une vingtaine d'années, après une course-poursuite acharnée, un chasseur m'a attrapée et quand il m'a reconnu, il a dit que je serais le meilleur cadeau d'anniversaire dont notre dirigeante pouvait rêver ! J'ai réussi à m'échapper heureusement, sinon je ne pourrais pas vous parler aujourd'hui. Mais je pense, Léonora, que cette histoire justifie ma question. Pourquoi exactement le roi veut nous voir ? Dans quel but ? fit une femme aux jambes interminables, en s'avançant dans la clairière.

La fille de Philippe Lasso se crispa en reconnaissant la cheffe du clan obscur. Parmi toutes les sorcières des Vallées d'Argent, Ambre Dark était sûrement la plus dangereuse et la plus recherchée. Léonora ne savait pas à quoi ressemblait exactement la duchesse Sybelle Dark qui avait tenté de renverser un roi un siècle et demi plus tôt, mais elle connaissait très bien les boucles dorées, les yeux ténébreux et le sourire de lionne de sa descendante. Lionne... ou tigresse ? La comtesse ne savait pas exactement lequel était le plus dangereux, mais il était sûr qu'Ambre les surpassait tous deux. C'en était à se demander comment cette femme aux allures de fauve avait pu mettre au monde une fille aussi douce qu'Alice, qui tenait plus du lapin traqué.

Avant que ses pensées ne divaguent en direction de son amie, la jeune femme se concentra sur la question de son aînée. Il était évident que madame Dark doutait de la bonne volonté du roi et sous-entendait que cela pourrait-être un piège. Ceci correspondait bien aux méthodes de Lucille Védère, mais Léonora avait du mal à croire que le roi puisse imaginer quelque chose d'aussi tordu. Elle n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche pour rassurer sa supérieure que Kylong lançait d'un ton qui se voulait complice :