Chapitre 11: Daniel

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Marionnette

Lorsque la servante versa le thé, un doux clapotement couvrit le silence qui régnait dans le petit salon. Alors qu'elle relevait le nez de la carafe, le bruit s'interrompit, puis il reprit de plus belle lorsqu'elle la renversa à nouveau, dans une deuxième tasse.

Daniel appréciait ce son ainsi que la présence de la domestique. Tant qu'elle serait là, sa mère n'oserait pas le réprimander, disputer, commander ou pire, lui parler de mariage. Les affaires de la famille royale devaient rester privées.

Quand la femme en livrée s'approcha, il hésita. S'il acceptait une tasse, il pourrait gagner du temps avant la discussion sérieuse, et, durant ladite discussion, il aurait la possibilité de plonger le nez dans sa tasse à chaque moment embarrassant. Néanmoins, le gain de temps était négligeable et sa gorge était trop nouée pour qu'il puisse avaler ne serait-ce qu'une gorgée. D'un geste de la main, il remercia la servante et la regarda s'éloigner avec appréhension. Quand la porte claqua derrière elle, le roi ravala sa salive.

La discussion allait commencer.

Sans se presser, Lucille Védère but quelques gorgées. L'ancienne reine savait parfaitement comment augmenter la tension de son public, et surtout, celle de son fils. Elle posa doucement sa tasse sur la soucoupe et lissa les plis de sa robe.

Au fil des ans, Daniel avait appris à reconnaître les émotions de sa mère grâce à sa vitesse d'exécution des tâches. Quand elle prenait autant de temps, elle lui évoquait un canon prêt à tirer. La corde se tend lentement, doucement, puis une fois qu'elle est près de craquer, la machine de guerre expulse son boulet destructeur. Avec sa génitrice, il suffisait de remplacer le boulet par la colère et la réaction était la même. Ah, oui, et la corde qui se tendait, c'était les pauvres muscles de son fils et de son mari, qui attendaient l'inévitable explosion avec appréhension.

Le jeune monarque s'était souvent demandé pourquoi sa mère éprouvait la nécessité d'angoisser son auditoire, et, une fois à la cour, il avait compris. Plus les gens sont tendus, plus ils ont des failles. Failles par lesquelles s'engouffrent de féroces émotions. Et une fois qu'ils sont contrôlés par leurs émotions, ils lâchent leurs vérités, leurs pensées. Rendre un homme anxieux, était la meilleure façon de s'assurer qu'il ne mentait point, qu'il était honnête, même s'il ne se dévoilait pas à cœur ouvert, il laisserait échapper quelques mots, aurait quelques petits lapsus, ou des grimaces, des expressions, qui en révèlerait tout autant.

Enfin, la reine-mère se décida à parler, d'une voix froide, calme, mesurée.

—Vous auriez dû prendre du thé. Cela vous aurait éclairci les idées, mon fils.

Daniel frissonna. Une explosion glaciale. Les pires.

Il se recomposa un visage neutre et observa sa génitrice, afin d'évaluer la gravité de la situation. Les prunelles émeraude de Lucille Védère brillaient en accord avec les rideaux tendus aux fenêtres, les coussins des fauteuils, et l'arbre d'or et de pierres précieuses brodé sur sa toilette. Tout dans ce salon avait été décoré pour mettre en valeur les reines qui s'étaient succédé au fil des siècles. Toutes blondes aux yeux verts, comme leur ancêtre, la grande Léonilde. Les murs blancs, rehaussés d'ornements dorés s'harmonisaient avec leur teint de porcelaine et la soie couleur forêt faisait ressortir leurs iris. Mais surtout, quand sa mère était mécontente, Daniel avait l'impression que toute la pièce se retournait contre lui, l'oppressait pour le punir de l'avoir déçue. Et quand il sentait le reproche muet des arbres d'or sculptés et brodés partout dans la salle, il avait l'impression d'être un mauvais roi, de porter préjudice à son royaume. Chaque emblème semblait murmurer : « écoute la reine, obéis lui et tout se passera bien, tu gouverneras bien. Elle gouvernera bien. ».

MagissaWhere stories live. Discover now