Chapitre 12: Zackaria

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En terre inconnue 

Première partie

La goutte salée s'aventura sur le torse musclé, elle hésita un instant, contourna le pectoral et fila sous le kimono, glissant en direction du nombril, où elle rejoignit nombre de ses semblables.

Zackaria souleva ses boucles blondes, dans une vaine tentative d'aérer sa nuque et d'empêcher l'inondation de son dos. Du coin de l'œil, il aperçut une goutte insolente qui dévalait son torse. Il pesta silencieusement et saisit l'éventail posé sur la petite table en roseau, à sa droite.

Il comprenait la nécessité d'aller à Vilnars, terre neutre, pour les négociations avec le royaume d'Osfon et d'Iréal, mais pourquoi choisir la région la plus chaude du pays ? La toile en lin tendue au-dessus des chaises des représentants de chaque pays les protégeait des rayons de cet insolent soleil, mais pas de cette chaleur infernale. Le jeune homme avait l'impression de griller, il ressentait désormais de la compassion pour le cochon que Keng-Hïung et lui avaient rôti, au début du voyage. En fait, il se sentait comme le cochon : en train de cuire. De plus, la transpiration faisait briller sa peau, comme la graisse du porc l'avait fait.

Qu'est-ce qu'il racontait ? Il se comparait à un cochon maintenant ? La chaleur le faisait délirer. Le grand blond observa les autres dirigeants, pour voir s'ils la supportaient mieux que lui.

Posté à gauche du prince dragarien, Keng-Hïung se tenait droit dans son kimono aux couleurs de l'empire et restait impassible malgré les gouttes qui dévalaient son visage et dégoulinaient de son menton. Zackaria l'aperçu néanmoins plisser ses yeux bridés, afin d'avoir une meilleure visibilité sur les dunes de sable doré, d'où pouvait surgir d'un moment à l'autre les représentants du royaume d'Isme et de l'Empire du Cobra. Tiens, le général s'impatientait ? Il faut dire que cela faisait près d'une heure qu'ils attendaient les alliés d'Iréal et du royaume d'Osfon, et sous l'effet de la chaleur, ils commençaient tous à fatiguer. Mais Keng-Hïung était le seul suffisamment exaspéré pour oser braver le soleil qui se reflétait sur les dunes. Vu la grimace qui se dessinait sous sa moustache, son observation ne devait pas être des plus agréable.

Le jeune homme se tourna alors vers les dirigeants d'Osfon. Le roi Henri avait posé ses coudes sur sa table et conservait un visage impassible. Néanmoins, nul besoin d'une observation poussée pour apercevoir les tremblements d'agacement et d'impatience qui secouaient sa jambe. Assise à ses côtés, sa nouvelle femme, Sahan du Cobra s'éventait furieusement, laissant ses mèches d'obsidienne voler en arrière. On aurait pu croire que la princesse de l'Empire du Cobra, pays le plus chaud d'Iridia, supporterait la chaleur qui régnait en ces lieux. Mais elle était sûrement habituée à la combattre en sari ou en robe légère et vaporeuse, comme on en trouvait dans l'Empire du Cobra, et pas dans ces toilettes étouffantes des royaumes de l'Ouest.

Pauvre fille. Elle ne semblait pas avoir plus de vingt ans, peut-être même était-elle plus jeune, pourtant elle avait déjà épousé le roi d'Osfon. Le gaillard n'avait pas l'air très agréable. Les traits crispés, le regard noir et insondable, les lèvres tordues dans une moue désagréable, il ne prêtait aucune attention aux regards anxieux que lui jetait sa femme. Elle semblait terrorisée. Depuis son mariage, six mois plus tôt, on devait lui mettre une pression d'enfer. Déjà, elle devait se glisser dans ces robes inconfortables, avec ces corsets trop serrés, et semblait actuellement avoir des difficultés à respirer. Ensuite elle devait s'habituer aux manières de la cour et aux coutumes et traditions de son nouveau pays. Enfin, le roi Henri était loin d'être le meilleur mari d'Iridia. Il aurait bientôt quarante ans, et ses trois dernières femmes étaient mortes sans lui donner d'héritier. La première avait succombé durant son accouchement, la seconde avait enchaîné les fausses couches qui avaient fini par ruiner sa santé, si ce n'est l'angoisse et la pression qui s'en était chargées, et la troisième s'était montrée incapable de procréer, elle avait été répudiée, et alors que, pleurant sur sa vertu, sa réputation et sa vie gâchées, elle rentrait dans son royaume natal, sa calèche avait dévalé une falaise et elle était morte dans l'accident. Cela devait être très dur pour la jeune Sahan de récupérer ce funeste héritage et la mission de donner un héritier au roi, mission qui avait mené ses prédécesseurs droit dans la tombe.

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