Chapitre 12: Zackaria

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En terre inconnue

Quatrième partie

Henri attrapa sa femme par le poignet et la poussa sans ménagement sur la banquette. Sahan gémit, alors que sa tête heurtait le bois dur du véhicule et que sa cheville se tordait.

Le roi d'Osfon claqua la porte et hurla au cocher de démarrer. Dès que les chevaux hennirent et partirent au trot, le quarantenaire se tourna vers son épouse.

—Vous pouvez m'expliquer ce qui vous a pris ? Me contredire en public, préférer défendre une fille du désert plutôt que moi, votre mari ? Et si ça s'arrêtait là ! Mais non, il a fallu que vous menaciez le général dragarien ! Pourquoi vous êtes-vous emportée ? Vous êtes si calme d'habitude.

Elle préféra ne pas répondre. Quel intérêt ? Henri ne l'écouterait pas de toute façon.

—Je croyais que les accès de colère et les fortes émotions étaient réservées aux femmes enceintes. Mais vous ne l'êtes pas, je me trompe ?

Sahan secoua la tête, non elle ne l'était pas. Elle ne l'était pas hier et ne le serait pas demain, alors pourquoi devait-on lui poser la question tous les jours ?

—Sahan, Sahan, fit-il, comme on parle à un enfant qui a fait une bêtise, en secouant la tête. Dois-je vous rappeler l'importance d'avoir un héritier, en temps de guerre ?

Et il reprit son monologue. Elle ne l'écouta pas, elle le connaissait par cœur à force de l'entendre tous les jours.

La jeune femme préféra se regarder dans le miroir. Elle savait que c'était une chose futile et superficielle, mais depuis qu'elle vivait à Osfon, elle avait toujours besoin de glaces pour se rappeler la seule chose qui n'avait pas changé depuis son mariage : elle. Cela avait un seul point positif, mais tellement rassurant. Où qu'elle aille, elle restait elle-même : Sahan du Cobra fille de l'impératrice Schéen et de l'ancien empereur, qui était mort quatorze ans plus tôt, laissant le trône à sa femme. Elle était aussi la grande sœur d'un adorable lutin et d'une maligne petite fille, ainsi que la petite sœur d'un futur empereur et d'une courageuse et inépuisable générale.

Schanzaa.

Quand, la fillette âgée de six ans, récemment orpheline de père, qu'elle était à l'époque avait vu cette adolescente grincheuse et marquée sur l'épaule, aux côtés de sa mère dans le palais, elle n'avait pas réalisé qu'elle prendrait une telle place dans sa vie. Quand Schéen la lui avait présentée en disant qu'elles seraient comme des sœurs désormais, elle n'avait pas réalisé non plus. A l'époque, sa maternelle, exaspérée par les longues boucles incoiffables de sa fille, venait de lui faire une coupe à la garçonne, et Sahan était plus préoccupée par le fait de ressembler à un mouton que d'avoir une nouvelle sœur.

La jeune femme se rappelait que la perte de son père ne l'avait pas tellement touchée. Elle se sentait monstrueuse en disant cela, mais c'était la vérité. L'ancien empereur du Cobra n'avait jamais vraiment fait attention à sa fille, la seule fois où son avenir l'avait préoccupé, c'était quand sa femme avait voulu couper les cheveux de la petite. Il s'y était vivement opposé, prétextant qu'elle était plus féminine ainsi. Alors dès que le décès de son mari lui avait été annoncé, la nouvelle impératrice s'était précipitée sur la fillette, avait pris un poignard, et avait froidement sectionné ses boucles.

Quand elle y repensait, Sahan se disait que, décidément, sa mère n'avait jamais aimé son époux. Le jour de sa mort, elle s'était contentée de rassembler ses enfants, leur avait annoncé la nouvelle et avait coupé les cheveux de sa cadette, le tout sans montrer la moindre émotion. Il fallait dire que personne dans la famille n'avait avoué regretter le paternel. Depuis son décès, l'aile du palais destinée à la famille impériale était plus calme. Les disputes de Père et Mère avaient disparu, et si la petite Shyleen continuait de se réveiller en pleurant la nuit, ses cris n'étaient plus suivis par ceux de ses parents, qui rendaient les nuits de leurs enfants insupportables. Après que sa génitrice l'ait embrassée sur le front, le soir après la mort de son père, la petite Sahan, six ans, se rappelait avoir passé une nuit merveilleuse, où pour la première fois depuis près d'un an, elle n'avait été réveillée que deux fois.

MagissaWhere stories live. Discover now