Chapitre 17 : Cymopolée

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Là où passé et futur s'entremêlent 

Première partie 

Dans les ruelles sombres et étroites du Bastion de la Blood, là où seul les grognements des rats et les affaires des brigands résonnent, une jeune femme traçait son chemin. Un chapeau rouge vissé sur la tête, une plume de nuit s'élevant fièrement vers les cieux, elle bombait le torse, sous son manteau à galon de la marine.

En deux mois, Cymopolée Blood avait appris beaucoup de chose. On pouvait dire qu'elle n'avait pas chômé ! La sorcière s'esclaffa en pensant à la réaction de sa sœur si elle l'entendait penser si vulgairement. Les rares passants s'écartèrent devant cette damoiselle si particulière, qui riait seule, habillée en homme, qui plus est.

Ah là là, si Zlendriss la voyait ! Si elle savait à quoi lui servait les cours de navigation et de géographie qu'elle lui procurait depuis huit longues semaines ! Il faut dire que la reine des Terres d'Hémoglobine avait eu du mal à cacher sa surprise, face au soudain intérêt de sa cadette pour l'éducation, le travail, et tout ce qui ne se passait ni dans des ruelles sombres, ni dans un lieu étrange et plein d'antiquité, ni dans on ne sait quelle plaine où elle pouvait se perdre.

Mais Zlendriss étant Zlendriss, elle s'était contentée d'hausser les sourcils, se réjouir à haute voix et de commencer tout à lui procurer son enseignement sur l'instant. Pour l'aînée des Blood, l'occasion était trop belle ! Après des années à batailler pour faire rentrer quelques notions dans la tête de sa petite sœur, elle avait l'impression d'assister à un miracle. Un miracle sur lequel elle s'était jeté comme si, à l'instar d'une étoile, il aurait pu filer au loin et disparaître à jamais. On ne sait jamais, avec Cymy, elle aurait pu changer d'avis sitôt le matin venu.

Mais à sa grande surprise, la volonté de sa sœur avait tenu des mois durant et Zlendriss n'eut pas à l'attacher sur sa chaise pour l'obliger à suivre les leçons. Plus étonnant que cela, la jeune femme semblait passionnée par ce qu'elle apprenait ! A croire que les constellations étaient la vingtième merveille d'Iridia.

Enfin, durant ces huit longues semaines, les deux femmes avaient eu de nombreux moments complices, des fous rires main dans la main, au-dessus du livre de géographie. Cymopolée avait redécouvert le sourire de sa sœur, et la tendresse qui l'accompagnait.

Mille fois, pendant que la reine lui partageait son savoir, la jeune rebelle avait murmuré « tu vas me manquer, Zlendriss ». Mais sa voix n'était qu'un souffle, un soupir coupable et silencieux, et sa sœur ne l'avait jamais entendue. A ces moments-là, quand elle riait avec son aînée et se surprenait à l'aimer plus qu'elle le croyait possible, elle baissait un visage honteux et couvrait ses joues rouges avec sa crinière sombre. Elle avait réfléchi à faire marche arrière, à tout cesser et puis l'image du comte d'Anchénaïe dans le palais où elle avait grandi avec ses sœurs, orphelines depuis si longtemps, l'avait décidé à continuer. Hors de question de vivre avec cet homme !

Cymopolée savait qu'elle ne pouvait l'empêcher d'épouser Zlendriss et de s'établir dans leur maison, mais elle pouvait se préserver et s'éviter cette vision d'horreur.

La jeune femme savait que c'était lâche et égoïste. Mais elle était une sorcière, on ne lui demandait pas d'être une sainte. De plus, même la grande Léonilde n'était pas aussi claire que les contes le prétendaient. Depuis huit semaines, quand elle ne travaillait pas avec sa sœur, la cadette des Blood faisait le tour des bars et des ruelles sombres, à la recherche d'un équipage de brigands. Si ses visites n'avaient pas encore porté leur fruit et s'étaient souvent soldées par des humiliations, elles lui avaient permis d'entendre des choses aussi surprenantes qu'intéressantes. A force de laisser traîner ses oreilles un peu partout, elle avait appris qu'on prêtait à la princesse de Belvédère des liaisons sulfureuses et des accords dont le mystère ne rendait que plus sombres.

MagissaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant