Chapitre 22 : Léonora

15 3 25
                                    


Détresse

Les feuilles volaient, fouettaient leur visage, animées par un vent violent, vengeur, tel le souffle d'un dieu. Et les branches se tendaient, les attrapaient, les arrêtaient, comme ce jour, il y a six ans. Mais cette fois, Léonora ne fuyait plus les chasseurs. Elle les cherchait.

Et elle les trouverait.

Elle les tuerait, les massacrerait, leur ferait payer cent fois ce qu'ils faisaient vivre à ses camarades. Chaque traînée de sang dans la boue que foulait ses pieds était un coup de poignard dans son cœur. Alors elle les écrasait, les écrabouillait, les enterrait, et se promettait de les venger.

Elle ferait couler deux fois plus de sang, sous ses coups, les cris d'agonie se multiplieraient, dix fois plus durs. Elle serait l'envoyée de Nirvana et Némésis. Elle se dresserait sur des tas d'ossements.

Ses pas s'enfonçaient dans la terre, sans un bruit. Mais les battements affolés de son cœur résonnaient pour deux. Et elle courait, filait, sur ses jambes faibles, tremblantes. Echec musculaire. Mais, l'échec, elle ne se l'accordait pas. Alors elle continuait de courir. Elle continuait de forcer.

Au terme d'un temps qui lui parut infini, d'une course au ralenti, elle aperçut les premiers fantassins. D'un mouvement de bras, elle balaya l'air, le fendit, envoya une courbe violette, tranchante. Les soldats s'effondrèrent, la terre se teignit de rubis. Céril, derrière elle ferma les yeux et souffla, pour oublier le sang.

Et Léonora continuait de tracer, de courir, se sauter. Elle bondit au-dessus d'une grosse branche, roula à terre, fendit, transperça, et les sortilèges volaient autour d'elle allée funèbre, garde magique et monstrueuse.

Elle avançait, mais elle ne voyait pas ceux qui comptaient pour elle. Aucun signe d'Alice, de Paul, de Xachary, ou de la Mama Sorcera. L'angoisse nouait sa gorge. La fatigue et la douleur troublait sa vue. Et les larmes dévalaient ses joues, coulaient dans ses cheveux. Mais elle avançait, malgré sa vision trouble. Elle ne se permettait pas de s'arrêter.

Enfin, une clairière souillée de sang apparut devant eux. Le liquide vital traçait mille sillons sur l'écorce, dessinait des fleuves vermillon. Ils rejoignaient la terre et l'alimentait, comme lors d'un rituel. Un rituel pour nourrir la haine, pour combler les désirs, pour satisfaire chasseurs et sorciers. Tous ceux qui étaient avides de sang, qui en raffolaient qui ne pouvaient pas s'en passer.

Tous ceux qui trouvaient le sens de la vie dans la mort, dans les tourbillons du messager de l'oxygène, extrait, retiré au corps. Vivre en retirant la vie.

Et Léonora en faisait partie. La revanche la guidait. Elle ne pensait qu'à écraser, enterré, trancher, fendre. Tuer. Tuer comme ils avaient tué. Tuer comme ils l'avaient brisée.

Elle se laisse consumer par la rage, la douleur et la fatigue disparaissent. Et elle se perd.

Et Céril la perd. Comme ce jour, il y a six ans.

Et il voudrait la rattraper. La ramener dans le monde des vivants, dans son monde. Où la définition du monde est un repas au coin du feu, accompagné d'une famille unie. Où les cœurs se réchauffent avec des rires. Pas de la destruction et des massacres.

Mais il ne peut rien faire.

L'esprit de Léonora lui est fermé, toujours fermé. Elle se refuse à lui, elle refuse de le laisser entrer chez elle, l'influencer. Elle refuse de se calmer. Elle refuse sa main tendue. Elle claque la porte à la sérénité, à la sécurité, et fonce vers le danger, le désordre, le massacre.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Apr 24, 2021 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

MagissaWhere stories live. Discover now