Chapitre 18: Hélène

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La symphonie de l'agonie 

Deuxième partie

On la conduisit devant une grotte. Un petit appartement, creusé dans la roche. Une simple couchette l'attendait dans un coin, une douce cascade serpentait entre les pierres, afin de nourrir une petite bassine d'eau, un miroir lisse et le grand A de l'ordre étaient sculptés dans le roc.

Plus de dortoir d'apprentis, une vraie chambre. Car elle était un assassin, désormais.

Hélène baissa la tête et remercia son guide, d'un murmure presque inaudible, honteux. Elle resta seule, debout dans la petite pièce. Elle regarda l'eau tracer son chemin, éviter les aspérités, courir le long du mur, le couvrir de traits azurés. Elle se perdit dans sa contemplation, se perdit dans ses propres pensées.

Elle se laissa emporter jusqu'à la cascade. Elle plongea les mains dans l'eau, en baigna son visage. Plusieurs fois.

Elle releva la tête, se hissa jusqu'au miroir. Les taches de sang avaient déserté ses traits. Elle était toujours la même, avec son teint translucide, ses lèvres blanches et sèches, ses cheveux ni vraiment noirs, ni vraiment bleus, de la couleur du ciel à l'heure du crépuscule, quelques mèches mouillées s'échouant devant ses yeux, entièrement, désespérément bleus. Comme si on avait attrapé des éclats d'azur et plantés dans sa chair, ne les perçants que de minuscules prunelles. Elle se vit elle, dans son corps ni humain, ni divin, moitié des deux. Elle se vit elle, de la race bénite ou bâtarde, c'est une question de point de vue. Elle se vit elle, mais ce n'était plus vraiment elle.

La jeune fille qui lui faisait face avait été marquée par le sang. L'eau avait emporté les tâches vermeilles, mais elles ne partiraient jamais vraiment. Elles seraient toujours là, gravées dans sa chair.

Ça lui avait paru si facile de tuer. D'accepter son destin, d'accepter la justice des Hommes et des dieux, et de trancher. Mais elle n'avait pas pensé à sa propre justice. A son regard sur elle-même.

Elle voudrait aller aux termes, retirer tout ce sang qui la souille. Mais elle ne voudrait pas croiser les autres. Ceux qui la couveraient d'un regard fier, ceux qui la féliciteraient. La féliciteraient pour avoir tuer un homme.

L'Alfaïr baissa la tête. En ce moment-là, elle aurait préféré être esclave. Mais ne l'était-elle pas déjà ? L'esclave des Hommes, de ceux qui n'assument pas leurs propres crimes, qui ont besoin de quelqu'un pour subir le jugement à leur place. Elle n'était que ça. Qu'une arme.

Et on lui demandait d'être une arme dénuée d'âme.

De ne pas penser. De ne pas culpabiliser.

Hélène se regarda dans le miroir. Elle se regarda elle, et son visage misérable. Elle, et son corps à demi humain. Elle, et son âme bafouée.

Elle se dit que la vie est injuste.

Mais une fois ce constat établit que faire ?

Il faut avancer, avancer malgré les difficultés. Se lever et avancer.

Mais elle resta face au miroir. Face à elle et ses doutes, face à elle et ses questions. Face à elle et aux réponses qu'elle ne veut entendre.

Elle réfléchit. Elle réfléchit longtemps, très longtemps. Elle s'en voulut de ne pas bouger. De rester là, amorphe, à regarder ses pensées tourner dans sa tête. Elle savait qu'elle ne devait pas culpabiliser. Qu'elle devait oublier cet homme et son sang. Mais elle ne le pouvait pas.

Alors elle resta face au miroir. Longtemps, très longtemps.

***

Elle y était encore lorsqu'on toqua. Des coups brefs, concrets, peut-être un peu impatients. Il lui fallut un laps de temps, avant de s'arracher à son reflet. Voilà des heures qu'il était son seul compagnon, et paradoxalement sa seule réponse alors qu'il soulevait tant de questions.

MagissaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant