Chapitre 16: Zackaria

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Gloire et regrets

Seconde partie 

L'exécution fut entourée de grandes festivités. Des dragons de papier circulaient parmi la foule, des cracheurs de feu inondaient le ciel de leurs braises, des danseuses enflammaient les cœurs par le dessin de leurs hanches, qui se balançaient au rythme des tambours. Et la musique, la musique... c'eut été impossible d'essayer de la retranscrire. Mille instruments se mêlaient aux clameurs de la foule, au claquement des clochettes suspendues sur les tenues des filles de joie. La mélodie qui s'élevait était celle d'un peuple qui jubilait d'un plaisir cruel, celle des péchés avoués, qui s'élevaient sans honte vers le ciel. La populace crachait sa haine, se livrait aux plus bas instincts, se comportait comme des animaux.

Mais, malgré ce désordre et ces incivilités, il faut reconnaître aux dragariens une certaine vertu : celle d'être crus. Ils n'essayaient pas de cacher leur plaisir, leur désir. Ils étaient le parfait exemple des pires bassesses, ils ne se gênaient en rien et montraient à Zackaria, petit noble choyé des Vallées d'Argent, à quel point l'homme pouvait tomber bas, à quel point la barrière entre leur espèce et celle des animaux était fine. Et à quel point il était facile de basculer de l'autre côté.

Le grand blond n'avait jamais voulu de cette ambiance, pour l'une des cérémonies les plus importantes de sa vie : celle qui ferait de lui le prince héritier d'un empire entier. Il aurait préféré ne pas savoir à quel point son futur peuple était méprisable.

Mais il en est ainsi des hommes, alors Zackaria avait laissé son beau-père s'occuper de l'organisation. Il n'avait pas vraiment de droit de parole, et l'empereur était si enthousiaste à l'idée de l'exécution. Pour lui, il ne semblait il y avoir meilleur moyen de se remettre d'un deuil, que d'en créer d'autres. Soignons la blessure du sang par le sang.

Et sous la musique de la rage, sous le rythme effréné de la haine, l'empereur prononça son discours :

—Voilà une semaine, deux étrangers se sont infiltrés dans notre beau pays. Comme seule excuse, ils m'ont promis l'impossible : ramener mon fils à la vie. Mais, pour leur plus grand malheur, je ne suis pas dupe. Je peux paraître sénile, mais ma tête résiste encore aux assauts de l'âge. Alors, pour ceux qui voulaient tant défier la mort, je leur propose de rejoindre son royaume.

Et le souverain n'eut qu'à faire un geste de la main, pour que le bourreau abatte sa hache. Zackaria ferma les yeux, alors que le sang giclait et fondait sur lui tel une cascade.

Il sentit le liquide vital recouvrir son corps, s'arrêter sur ses cils, s'abattre sur ses mains. Et, derrière ses paupières closes, un visage lui apparut. Celui d'une enfant, couverte des mêmes entailles que la maladie avait creusée sur celui de Taong. Des ruisseaux vermillon coulaient sur ses joues, dévalaient son cou. Un visage d'horreur, un visage qu'il aurait aimé ne jamais découvrir.

Il s'apprêtait à hurler, à supplier qu'on le sorte de ce cauchemar, quand une poigne agrippa furieusement une de ses mains couvertes de sang, et la leva en l'air, le forçant à ouvrir les yeux. A travers ses cils collés par le liquide rubis, il aperçut le peuple, la foule en délire, qui criait son nom.

Et son beau-père se mit à crier à sont tour.

—Voyez, mon fils. L'époux de ma fille, celui qui m'a ramené ma belle enfant. Mon gendre, mon fils, qui devient aujourd'hui l'héritier de notre empire. Mais ce fils, mon fils, a eut la naïveté de croire ces étrangers. Il a été assez fou, pour croire qu'on puisse ressusciter les morts. Aujourd'hui, justice est faite. Ces vils trompeurs sont morts, et voilà que leur sang s'est abattu sur leur protecteur. Comme un présage, le liquide qui a marqué leur vie, puis leur fin, a posé sa marque sur son corps. Espérons que cela lui fera perdre sa naïveté d'enfant, et que son regard d'homme se souviendra de l'odeur du sang. Espérons que son règne sera marqué par cette odeur. Espérons qu'il suivra les pas de mes ancêtres, et agrandira notre empire. Espérons que sous son règne, des nuages rouges envahissent nos frontières. Que le sang de nos ennemis coule et rejoignent la terre impure qui leur a donné naissance !

MagissaWhere stories live. Discover now