Partie VI - 12 : L'Au-Delà

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LA VIE PEUT PARFOIS être marquée par une certaine dose de mort. La dépression vous donne l'impression que vous allez mourir à cause de la douleur émotionnelle qui vous accable. Elle vous incite à vous arracher les yeux et à hurler, à vous enfermer dans votre lit et à vous couper du monde. La dépression prend le contrôle de votre existence et vous fait croire qu'il n'y a pas d'issue. Vous avez l'impression que toute la lumière a été soufflée, que cela ne sert à rien de continuer. Elle aspire l'air de vos poumons et vous emprisonne dans la douleur. Vous êtes plongé dans une obscurité insondable, incapable de percevoir la lumière au bout du tunnel. Ce vide vous ronge l'âme, laissant derrière lui un sentiment de néant.

Voilà ce que ressentait Madeleine, dix jours après la mort de Levy. Lors de ses heures les plus sombres, la jeune femme avait l'impression de suffoquer. C'était comme vivre dans un puits de mort, et rien ne pouvait l'en sortir.

Rien, sinon la force de Daniel Spillman.

Lorsque le jeune homme entre dans la chambre, celle-ci est plongée dans la pénombre. Il soulève les couvertures pour révéler Madeleine. Elle ne dort pas, pas réellement. Elle est étendue sur le lit, le regard évidé. La seule chose qu'elle ressent est l'écrasante sensation de tristesse et de désespoir contre laquelle elle se bat.

C'est seulement lorsque Daniel prononce son nom que la jeune femme lève sur lui des yeux désincarnés. Il s'allonge à côté d'elle et lui caresse les cheveux, comme il le fait souvent ces derniers jours.

— Je sais que tu souffres, murmure-t-il, mais tu dois manger et boire quelque chose. Viens, s'il te plaît. Je t'ai fait du chocolat chaud.

Madeleine secoue la tête et sanglote contre son torse. Le jeune homme l'étreint en la berçant doucement, comme elle l'a fait elle-même avec le cadavre de Levy. Madeleine a maigri, son visage est creusé, et ses cheveux bruns, d'habitude si éclatants, sont ternes. Elle dégage une tristesse que Daniel n'a jamais vue chez elle auparavant. Il embrasse son front, repoussant les mèches de cheveux qui tombent sur son visage.

— Comment te sens-tu ? demande-t-il après un moment.

— J'ai l'impression de l'avoir laissé tomber...

— Tu ne l'as pas laissé tomber. Nous avons fait tout notre possible.

— J'ai enfoncé l'aiguille dans son bras.

— Il te l'a demandé, d'accord ? Même sans ton aide, il serait mort. Si tu crois en Dieu, alors je suppose que tu penses que lorsque ton heure est venue, c'est ton heure, n'est-ce pas ?

— Mais, il était si jeune ! Pourquoi le Seigneur l'a-t-il emporté ? Quel était le but de sa vie ? Il n'a jamais connu le bonheur, et il est parti malheureux. Pourquoi Dieu ferait-il une chose pareille ?

— Tu sais que je ne comprends pas tellement Dieu. J'ignore pourquoi il fait certaines choses. Regarde-moi dans les yeux. Je sais que tu es au plus mal, mais comme pour la mort de ton père, cette douleur aussi va passer.

La jeune femme sanglote de plus belle.

— Le bébé va arriver dans un mois et demi, poursuit Daniel. La vie approche. Nous devons laisser la mort loin derrière nous, d'accord ?

Madeleine renifle et approuve.

— Tu dois manger quelque chose, dit le jeune homme.

— Je n'ai pas faim.

KuklosWhere stories live. Discover now