Partie II - 2 : Papa Clarice

316 82 23
                                    

LORSQUE L'INSPECTEUR KORDWELL descend de voiture, il inspire l'odeur orageuse de la terre chaude. En fermant la portière, il observe un héron voler à la surface de l'eau, dont le bec ressemble à un poignard. Il plisse les yeux en direction du café. C'est un cabanon à la peinture défraîchie par le temps, une pancarte rouge et blanc signant la devanture : « Buvez Coca-Cola. »

Sous l'auvent, les femmes conversent tandis que leurs enfants s'amusent au bord de la route. Les hommes rient, allument une cigarette, discutent de ce qu'ils feront le lendemain pour le quatre juillet. Mais bientôt, tous se taisent à la vue des deux policiers.

— Bonjour, Messieurs, annonce Dixon. Mesdames...

Personne ne lui répond.

— L'un d'entre vous saurait-il où trouver Papa Clarice ? demande Maverick.

Ils le regardent d'un air méfiant. Finalement, l'un des hommes indique la porte du doigt. Avant d'entrer dans le café, Kordwell ne peut s'empêcher de lever les yeux et d'observer le panneau en fer rouillé, indiquant : « Interdit aux blancs. »

La chaleur à l'intérieur est presque insupportable, malgré les efforts du ventilateur. Sur la droite, un bar de taille moyenne s'étire le long du mur jusqu'à la porte qui mène à l'arrière-cour. Au son du carillon, plusieurs femmes se retournent et dardent les nouveaux arrivants d'un regard hostile. Onze ans dans les mœurs ont appris à Maverick que ce regard est celui des entraîneuses, capable de flairer les ennuis et les flics à des kilomètres à la ronde.

— Inpecteur Kordwell, se présente-t-il. Et voici l'officier Dixon. Nous enquêtons sur la disparition de la petite Damian Mosley.

Deux filles se lèvent et s'éloignent tandis qu'un gars ouvre la bouche.

— Depuis quand la police s'intéresse aux enlèvements de nos gens ?

— Je ne suis pas de cette police-là, Monsieur, répond Maverick.

Des regards s'élèvent au ciel. Les visages restent fermés.

— Vous utilisez le pluriel, remarque Dixon. Y a-t-il eu d'autres enlèvements ?

Les hommes se concertent en silence avant de partir d'un rire moqueur.

— Vous voyez ? réplique celui à la chemise noire. Ils ne sont même pas au courant.

Un déluge d'affirmations de la part des autres clients vient galvaniser son discours.

— Deux femmes et un homme ont disparu en moins de deux mois, reprend-il. Et maintenant, cette gosse !

— C'est une petite ville, lâche un autre. Tu remarques vite ce genre de merde.

— Avez-vous signalé ces disparitions ? demande Maverick.

Chemise noire est grand. Il quitte son tabouret et s'avance.

— Au-dessus de cette porte, dit-il en désignant l'entrée, se trouve un panneau.

La tension est palpable lorsque l'homme s'arrête devant l'inspecteur, lui tenant tête. Maverick soutient ce regard, qui lui ordonne de s'en aller.

Il s'agit de rester calme. Reste calme, bordel.

— Fuster Washington ! lance une voix inconnue. Veux-tu laisser cet homme, oui ?

— C'est un blanc-bec, Ma' !

Une vieille dame dans une robe colorée apparaît depuis l'arrière-boutique.

— Je suis peut-être aveugle, dit-elle, mais pas sourde. Cet homme fait son travail.

Son intonation traînante, qui a conservé l'accent de l'Afrique de l'Ouest, évoquait des siècles de vie, de chaleur électrique, de souvenirs cotonneux.

Chemise noire baisse la tête et retire son chapeau en guise d'excuse.

— 'Sûr Ma'am, souffle-t-il.

Il retourne s'asseoir, puis les conversations reprennent.

— Madame, débute Maverick, comme je le disais, nous enquêtons sur la...

— Je sais pourquoi vous êtes ici, l'interrompt la vieille dame. Je le sais depuis que vous avez braillé mon nom dehors.

Dixon et Kordwell échangent un regard interrogateur.

— Excusez-moi, mais qui diable êtes-vous ? demande Maverick.

— Papa Clarice. Vous me cherchiez tout à l'heure, non ? Mais peut-être vous attendiez-vous à un homme...

Kordwell et Dixon restent muets tandis qu'un rire renverse la gorge de Papa Clarice.

— Venez, dit-elle en leur désignant la pièce derrière le bar.

Les deux policiers la suivent, puis Papa Clarice leur présente un fauteuil et une chaise à bascule.

— Que voulez-vous savoir à propos de la petite ? demande-t-elle une fois installée.

— Où l'a-t-on vue pour la dernière fois ? demande Claude

— Les gens viennent trouver le repos ici, un peu de réconfort après une longue journée de travail. C'est un endroit familial.

— Et vos filles, l'interrompt Kordwell, sont-elles également de la famille ?

Mal à l'aise, la tenancière se retire dans son fauteuil.

— J'aide ces filles, noires ou blanches... Elles trouvent un foyer, de la sécurité.

— Ne vous justifiez pas, réplique Maverick. Nous ne sommes pas là pour ça.

La vieille dame acquiesce avant de continuer :

— Les enfants s'amusent. Ils aiment aller dans la petite cour, derrière la boutique.

— Par où passent-ils ? demande Dixon. Ils contournent le café ?

— Non, ils passent par ici, dit Papa Clarice en désignant la pièce où ils se trouvent. Ils vont voir les autres gamins qui jouent de l'autre côté de la grille.

— Quels autres gamins ? lance Maverick.

Il se redresse et aperçoit l'arrière-cour au-delà du rideau de perles.

— Excusez-moi un instant, dit-il en se levant.

À l'extérieur, le soleil lui frappe le visage. Il note la clôture qui borde le café, le séparant du parc et de sa végétation, contrastant avec l'aridité environnante. Devant Maverick Kordwell se dresse la vision de jeunes enfants noirs, observant de jeunes enfants blancs qui s'amusent sur des chevaux de bois, qui leur sont interdits. Emporté dans le tourbillon des balançoires suspendues, le rire des enfants lui parvient comme un souvenir.

KuklosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant