Partie II - 7 : Le Feu Aux Poudres

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HENRY ÉTAIT LE PLUS ÂGÉ DES FILS SPILLMAN et le premier méfait de ce clan infernal. Son père voyait en lui un digne successeur. Ce dernier reconnut rapidement le plaisir que son fils prenait à voir la souffrance d'autrui. L'enfant ne ressentait pas la moindre forme de malaise, mais de l'amusement. Il était le contraire de ce nouveau fils – le petit Daniel – toujours vautré dans les jupes de celle qu'il devait appeler maman. Il avait le visage doux et le corps tendre : une fillette, un bon à rien, une mauviette, comme le répétait monsieur Spillman. Son épouse, elle, aimait ses fils de la même manière, c'est-à-dire de tout son cœur. Pourtant, elle savait que ces deux garçons ne lui appartenaient pas. Son esprit lui faisait oublier cette vérité, l'obligeant à croire les mensonges de son mari.

Jessica Spillman était tombée enceinte une fois, mais le bébé n'avait pas tenu. Elle se rappelle le trajet en bus qui la ramena chez elle après son rendez-vous chez le médecin. Il faisait mauvais et elle se tenait assise près de la vitre, regardant, sans expression, les rues défiler sous la pluie. Elle n'avait pas pleuré, pas avant d'avoir franchi le seuil de leur maison. Ce voyage marqua un instant, un entre-deux où la vérité demeura silencieuse : elle était morte en cette après-midi de septembre 1925 et n'avait plus jamais été la même femme.

Malgré leurs efforts, le couple Spillman n'eut pas d'autre enfant après cela.

Lorsque son mari plaça Henry entre ses bras, le premier nourrisson, Jessica se persuada qu'il s'agissait du sien. La pauvre femme qui avait donné naissance dans la souffrance fut gardée au sous-sol quelque temps, afin d'allaiter le tout-petit. Albert lui promit de lui restituer son enfant et sa liberté si elle lui obéissait sans rechigner. Cependant, après quelques semaines, il tuait ces femmes, libérant la cage pour un prochain martyr.

Jessica respirait à nouveau, le mensonge lui rendait la vie. Heureuse, elle faisait tout pour Henry, son trésor. Mais rapidement, l'enfant s'avéra indépendant et préférait son géniteur à cette femme qu'il refusait d'appeler maman. Madame Spillman se jeta à corps perdu dans la Bible, qu'elle citait en toute occasion. Malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à se rapprocher de Henry, qui prenait un malin plaisir à lui pincer la peau.

Le 4 avril 1929, Daniel Spillman était né, remplaçant dans le cœur de sa « mère » celui qui n'avait jamais fait que la fuir. Beaucoup de cris se faisaient entendre, car les deux frères ne s'entendaient pas. Albert et Henry s'en prenaient à Daniel, lui reprochant tous les maux du Monde. Un soir, alors qu'ils le chassaient à travers la maison, ils le coincèrent dans l'escalier. La tête du garçonnet heurta l'une des marches et il hurla en appelant sa mère. Jessica, en larmes, se tenait au bas de l'escalier. Lorsqu'elle arriva devant son mari, celui-ci la repoussa et la menaça d'une main levée. Pendant ce temps, Henry s'accrochait à la cheville de Daniel, qui tentait de s'échapper en rampant et sentait le bois lui entamer la peau.

Qu'avait-il fait ce jour-là ? Il ne s'en souvenait pas.

Daniel détestait Henry, ce monstre qui insultait leur mère chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls. Il avait peur de lui, peur de dormir dans la même pièce. Il tremblait à l'écoute des bruits étouffés qui remontaient à travers les conduits et les radiateurs, peur de l'escalier qui menait au sous-sol, ce lieu interdit.

« Ton fils a peur de tout ! » blâmait Albert. La ceinture en cuir. Quatre trous. La salle de bains. La noyade et les narines qui brûlent. « C'est une sale bête ! Un bon à rien ! » Le coffre à jouets. L'obscurité. La faim. « J'aurais dû l'exterminer à la naissance. » La terreur et l'épouvante. Daniel détestait vivre dans cette maison. Il exécrait la chasse, le samedi après-midi. Il aimait les bois et n'arrivait pas à tuer les animaux. Tenir un fusil lui était insupportable, tout comme la poigne de son père qui le forçait à devenir un homme. Il haïssait les rires sarcastiques de son frère, ses bousculades et ses coups de poing. Il voulait rentrer et retrouver leur mère, l'entendre réciter la Bible près de la cheminée, apprendre à cuisiner, prendre un verre de lait et percevoir l'arôme des biscuits dans le four.

Un jour, alors que la chasse durait depuis des heures, un incendie de forêt les contraignit à rebrousser chemin. Daniel avait dû réduire au silence Henry, profitant de l'absence momentanée de leur père qui vaquait à ses besoins naturels. Le petit brun n'avait pas d'autre alternative. Il ne supportait plus ses moqueries incessantes et ses coups.

Il fallait bien faire quelque chose, non ?

Daniel poussa son frère dans le ravin et observa avec un mélange d'effroi et de satisfaction tandis qu'il roulait en bas, faisant des tonneaux. Le corps stoppa sa course effrénée dans un nuage de débris et de gémissements. L'enfant observait Henry depuis son observatoire. Il le regardait luttant pour remonter, se cramponnant aux racines, ne faisant que retomber sur sa jambe cassée. Alors que les cris de détresse et les insultes fusaient, Daniel s'assit en tailleur au bord du ravin et pencha la tête. Pour la première fois de son existence, il éprouva ce calme, cette plénitude. Il cracha de longs filets de salive sur Henry qui s'escrimait à remonter la pente, sans succès. Daniel souriait à l'écoute des menaces de son frère, levant le nez lorsque l'odeur du feu pénétra ses narines : la forêt crépitait et prenait vie.

Lorsque leur géniteur arriva, Henry pleurait dans le ravin et les premières flammes se propageaient comme des vagues. Monsieur Spillman poussa Daniel et lui cria de courir jusqu'à la maison. Les flammes léchaient déjà les pieds de son grand frère, ses jambes. Des cris stridents s'élevaient à travers les bois.

Quelques secondes plus tard, un coup de feu résonna à travers les arbres.

Et les cris cessèrent.

Haletant, Daniel ralentit sa course et apprécia le calme et la solitude en humant l'odeur de l'incendie. Il n'avait pas nécessairement souhaité que Henry meure, mais lui apprendre une leçon et le faire souffrir. 

Ou peut-être pas ?

Un sourire se dessina sur ses lèvres de petit garçon.

KuklosWhere stories live. Discover now