Partie I - 3 : Les Chiennes

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LE DIMANCHE MATIN, Albert Spillman se réveille avant le reste de sa famille. Après s'être nettoyé le visage avec de l'eau et du savon, il boit une tasse de café noir et prend de grandes goulées d'air frais à l'arrière de la maison, puis retourne à l'intérieur. Ce jour-là, il est le seul à nourrir les « chiennes ». Il se dirige vers les cages, prenant l'apparence de Dieu aux yeux de son peuple. Ces prisonnières sont sa propriété, des êtres qu'il contrôle, entretient ou détruit selon ses désirs.

Il est le maître, le créateur, l'Homme.

Il est le monstre.

Alors que Jessica Spillman déguste son petit-déjeuner, elle entend le bruit familier des pas de son mari. Elle se demande souvent quelle sorte de « bonne parole » il prêche à ses captives, mais elle estime qu'il vaut mieux ne pas poser trop de questions.

Daniel entre à son tour, puis s'assoit.

— Tu oublies le bénédicité ? grommelle le patriarche.

Le jeune homme observe ce toast dans lequel il vient de croquer. La marque de ses dents forme une fine dentelle, des ornières sur la mie.

— Non, papa. Bien sûr que non.

Il joint les mains contre son front, mais ne prie pas. Intérieurement, une voix lui dicte ce qu'il aime et n'aime pas, des choses insignifiantes auxquelles on ne fait guère attention.

Daniel érige fréquemment des listes : j'aime la sensation de la chair des fruits que je découpe, l'odeur du papier journal le matin, de la glycine, la texture du noyau de l'avocat, la rotondité imparfaite de l'assiette bleue de mon enfance.

— Amen, dit-il finalement.

* * *

UN DÉFILÉ SILENCIEUX de souvenirs instantanés parade derrière les paupières de Madeleine. Dès qu'elle ouvre les yeux dans l'obscurité de la cave, la réalité est un rideau opaque. Ses cheveux embrassent les plis moites de sa nuque.

Les vertiges ont disparu, mais elle a mal à la tête.

La limonade...

Désorientée, la jeune femme tente de prendre ses repères. Son cœur s'emballe lorsqu'elle comprend qu'elle est enfermée dans une cage, prise au piège. Une chaîne, solidement fixée à sa cheville, la relie au pilier derrière elle.

Horrifiée, Madeleine étouffe un cri entre ses mains.

* * *

CHAQUE DIMANCHE, après la messe, la famille Spillman se rend chez Miss Helens pour le déjeuner. La table est dressée derrière la demeure, près des champs de coton. Jeanne Helens observe Daniel, ce petit garçon qui a grandi et est devenu si charmant. Malgré ses vingt-cinq ans, il agit encore comme l'enfant séquestré en lui.

KuklosWhere stories live. Discover now