18. Lettre.

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18 décembre.

Tennessee - Hans Zimmer

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Je tenais Simone dans mes bras, alors que le facteur s'occupait de distribuer chaque lettre qu'il avait, dans son sac postal. J'avais l'impression d'être cinq mois plus tôt, alors que les hommes partaient pour la guerre. Toutes les femmes piaillaient d'impatience, espérant recevoir de bonnes nouvelles, plutôt que de mauvaises.

C'était la folie. Le facteur arrivait à peine à distribuer les enveloppes qui venaient d'arriver. Le troisième jeudi du mois, c'était la journée la plus importante: les lettres arrivaient du champ de bataille.

Je déglutis en entendant mon nom. Le facteur l'avait prononcé difficilement, à cause du nom de famille anglais.

Tendant la main, je souris en sentant le papier entre mes doigts. Marchant rapidement, je quittai le troupeau de dames, pour retourner chez moi, où ma mère m'y attendait. Ne pouvant m'occuper de la maison toute seule, suite au départ d'Harry, mes parents avaient emménagé avec moi. Mon père, qui était heureusement trop vieux pour partir, s'occupait des tâches qu'Harry faisait, habituellement. Il coupait les feuilles des arbres, il s'occupait des tâches manuelles et du grand potager, à l'arrière.

Ma mère m'aidait avec Simone et les tâches ménagères. Et elle m'aidait à survivre, aussi.

Parce que certains jours, tout était plus difficile, sans Harry.

*

3 mai 1940.

Aude,

Les temps sont durs.

Je sais que la guerre n'est pas pour moi. Je sais que ma place est près de toi et de Simone, en France. Je sais que je n'ai pas envie de tuer des gens et je ne peux rien y faire.

Tu me manques terriblement, Aude.

Tu sais, j'ai eu peur, pour la première fois. Je suis tombé du bateau et j'ai vraiment pensé que la mort était là, tout près. J'ai pensé que j'allais mourir, en plein océan. L'eau emplissait mes poumons, rejetant les derniers millilitres d'airs qu'il y avait. J'avais beau crier et prier, rien ne fonctionnait: je continuais à couler, vers le fond, à inspirer de l'eau et à me noyer, lentement.

Et je ne sais pas quel ange me protégeait, cette journée. J'aime penser que c'est toi, que c'est toi qui me protégeais, Aude. Parce que j'ai été repêché, par un membre de la troupe, qui était sur un plus petit bateau.

Et depuis cette journée, je suis à l'infirmerie, pour me rétablir. J'ai eu un choc, c'est peu dire.

Mais je remercie la vie, à chaque jour. Je remercie la vie de m'avoir sauvé de l'eau sombre, maculée de sang et de poudre de fusil.

J'en ai marre de me laver, le soir, et d'enlever le sang qui tache ma peau. C'est probablement la chose la plus difficile que j'ai eu à faire, dans toute ma vie: nettoyer le sang de mes amis, d'inconnus, d'humains.

J'en ai marre de nettoyer mon arme. J'en ai marre de porter ma tenue officielle. J'en ai marre de regarder la petite photo de toi que j'ai, alors que je pourrais te toucher et t'enlacer. S'il-te-plaît, envoie-moi une autre photographie. Et une de Simone, si c'est possible. Elle n'avait qu'un an, lorsque j'ai quitté la France. Et elle a déjà cinq mois de plus. J'en ai marre de manquer tous ces moments, avec vous deux.

J'aurais aimé que ma tête soit pleine de souvenirs heureux, pleine de jolies images.

Je ne te décrirai pas les horreurs que j'ai vues, parce que je n'ai pas envie que ton imaginaire soit taché par ceci. Toutefois, je dois t'avouer que ma tête est très lourde à porter. Je ne pensais jamais dire cela un jour, mais parfois, j'ai envie de pleurer et d'hurler. J'ai envie que tout s'arrête, qu'on efface ma mémoire et qu'on me retourner chez moi, près de ma famille.

Je pense que mon corps, mon âme, ne peut plus supporter de perdre d'autres amis, de voir des visages en pleine agonie, de voir du rouge, partout.

Mes journées sont vides et mornes. Je n'ai plus envie de vivre et ça me blesse de te dire ceci, mais c'est la vérité, Aude. Je n'ai plus envie de vivre dans la guerre.

J'essaie de me souvenir de tous nos moments, ensemble. De notre rencontre jusqu'à notre dernière journée passée en famille, avec la petite Simone.

C'est de plus en plus difficile, tu sais? Comme si chaque coup de fusil tiré m'enlevait un de mes souvenirs. Je ne peux imaginer mon état, à mon retour. Serais-je capable de revivre, après toutes ces vies, que j'ai enlevées? Serais-je capable de sourire, de te prendre dans mes bras, de faire une croix sur cette période sanguinolente et immonde de ma vie? J'ai peur. J'ai peur de revenir et de me sentir monstre, chez moi. Promet-moi que tu m'aimeras toujours, Aude. Malgré tout ce que j'ai fait, promet-moi de toujours être capable de me regarder dans les yeux.

J'aimerais pouvoir t'écrire plus. J'aimerais pouvoir te dire un tas de choses, mais je ne trouve pas les mots. Ils sont coincés. tout près de mes larmes.

Je rêve du jour où je quitterai cet endroit. Ce jour où je retournerai chez moi, près de toi. Ce jour où tu m'attendras, près des rails du train.

Ce jour arrivera bientôt, je l'espère.

Embrasse Simone pour moi.

Je t'aime, Aude.

Harry.

*

Je regardais le sol de bois. Ce sol qu'Harry avait bâti, avec son père et le mien. Il avait bâti cette maison pour moi.

Mes mains tremblaient, alors que je l'imaginais encore dans l'eau, noyé.

Je sentais les larmes qui coulaient allègrement, sur mes joues. Il pouvait mourir.

Harry pouvait mourir et me laisser seule.

Et il avait peur. Il n'en pouvait plus. Et je savais qu'il ne lésinait pas sur les mots. Harry était un homme persévérant, un garçon qui ne cessait d'essayer et de travailler.

Et il n'en pouvait plus, parce qu'il vivait l'enfer, l'horreur, depuis cinq mois.


***

JE VEUX PLEURER HUHU.

j'aime harry.

je l'aime d'amour.

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