Chapitre 5

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Une fois à l'intérieur, Gabrielle réussit à échapper à Maxence en prétextant avoir vue une connaissance qu'elle souhaitait absolument saluer. Elle avait obtenu ce qu'elle désirait donc maintenant bon débarra. Nous avions pris place au troisième rang, une chance au vu de la manière dont ça avait démarré, et attendions patiemment que la salle se remplisse.

Tout le monde semblait surexcité par cette expérience, sauf moi. Vingt minutes plus tard, les portes étaient déjà refermées, les intervenants bien sagement assis à leur place. Ils étaient au nombre de six, trois de chaque côté de la table ne laissant qu'une chaise vide au centre. De ce que Gab m'avait expliqué il s'agissait principalement de médecins, de biologistes, d'ingénieurs et de physiciens, bref des hommes de sciences. Mon petit doigt me soufflait que ces conférenciers n'étaient là que pour valider tout ce qui sortirait de la bouche de celui que tout le monde attendait.

C'était de la pure folie. Le système de sécurité déployé était impressionnant et des caméras se tenaient même tout près de l'estrade, prêtes à retransmettre en temps réel la conférence sur des écrans géants à l'extérieur, mais aussi sur internet. Tout était prêt et pourtant, nous attendions tous l'enfant prodige qui avait révolutionné la science.

Gabrielle ne tenait littéralement plus sur sa chaise. Elle n'arrêtait pas de gigoter dans tous les sens, au bord de la crise de nerfs. Une vraie groupie. Pour passer le temps, je décidai d'envoyer un message à Robin pour annuler notre rendez-vous. Ça y est, ma décision était prise, j'avais déjà fait bien assez d'efforts comme ça pour aujourd'hui. Je m'excusai sincèrement auprès de lui et lui expliquai qu'un imprévu m'obligeait à reporter notre soirée. Techniquement je ne mentais pas vraiment. La conférence avait déjà une bonne heure de retard sur son planning initial et j'étais déjà crevé de ma journée. Je n'aspirais qu'à aller me coucher.

J'étais à deux doigts de m'endormir quand l'un des intervenants prit le micro et annonça sous une huée d'applaudissement l'arrivée imminente de, je cite, "Le Pape de la Science". Une nuée de corps bondit de sa chaise lorsque l'homme tant attendu fit son entrée. Je fus si surprise de l'énergie qui se dégagea de la foule que j'en restai totalement coite. Les femmes hurlaient, Gab la première, et tous scandaient son nom avec force. On se serait presque cru dans une secte.

Toujours assise, et refusant catégoriquement de me joindre à cette mascarade, je ne vis pour le moment du messie que ses bras levés en l'air pour saluer la foule, et ça, entre deux mouvements de corps devant moi. Cette ovation très largement exagérée à mon goût dura une éternité, mais quand enfin la foule se rassit pour écouter son mécène, le silence fut total.

Le contraste fut tellement saisissant que je ne pus m'empêcher de regarder autour de moi pour vérifier que le temps ne venait pas de se figer comme dans les films. Stylos en main et bloc-notes sur la table, les étudiants attendaient avec l'impatience d'un enfant les premiers mots que Charles Potens prononcerait pour les retranscrire le plus fidèlement possible. C'était ridicule.

J'étais la seule à me tortiller dans tous le sens, absorber par autre chose que par l'homme que tous étaient venus voir et entendre. Je fis enfin volte-face et me concentrai sur la raison de notre présence ici quand j'entendis la plus belle voix masculine que mes tympans n'eurent jamais l'honneur d'entendre. Si je n'avais pas été assise, j'en serais tombée sur le cul.

L'homme le plus beau qu'il m'eut été donné de voir dans ma vie venait de prendre position sur l'estrade de la manière la plus surprenante qui soit. Au lieu de s'asseoir sur le siège qui lui était prévu, Charles Potens s'était assis sur le devant de la table.

Il était d'une beauté extraordinaire et tandis que j'en faisais le portrait, je devais composer avec les soupirs des femmes alentour qui buvaient ses paroles. De ce qu'il racontait je n'en entendis rien et je me demandai pour combien de femmes ici ce fut aussi le cas. Il n'avait absolument rien de l'homme riche et de l'ingénieur que je m'étais représentée. Il mettait à bas tous mes clichés. Je m'étais attendu à un homme strict, plutôt vieux, les cheveux parfaitement gominés vers l'arrière, costard cravate, chaussures cirées, bref la vraie tête de con quoi. En réalité, il était tout le contraire.

Sa tenue ne tenait qu'en deux mots : jean, baskets. On aurait pu dire qu'il avait le look d'un adolescent, mais en réalité pas du tout. Il ne faisait pas non plus négligé, il faisait juste sans prise de tête. Ses baskets étaient loin d'être neuve, son jean parfaitement ajusté laissait apparaître des traces d'usures qui me laissaient penser qu'il le mettait souvent et son look se terminait sur un T-Shirt noir assez moulant, mais pas trop, pour laisser dévoiler une musculature tout juste naissante du genre "je fais un peu de sport, mais pas trop". Et ça, ce n'était que le corps.

Lorsque je continuai mon inspection au-delà de ses épaules, une vague de chaleur se glissa au creux de mes reins. Pour la première fois de ma vie, un homme réveilla la femme en moi, celle que j'enfouissais avec bienveillance pour pouvoir mieux la protéger. Son visage était un véritable bijou, un cadeau pour les sens. Il passait régulièrement la main dans ses cheveux courts, couleur caramel, pour se gratter le cuir chevelu sans en avoir rien à cirer de s'ébouriffer encore plus qu'il ne l'était. Ses yeux d'un bleu profond sondaient l'assistance avec minutie semblant offrir à chacun et chacune une part du gâteau qu'il était.

Les traits droits et anguleux de son visage lui donnaient un air puissant et autoritaire. Sa voix chantait à mes oreilles, hypnotique et entêtante. Malgré tout ça, je réussissais plus ou moins à garder les pieds sur terre jusqu'à ce que son regard croise le mien par hasard et dévaste tout sur son passage. Je devins moite et tremblante, un petit spasme fit même tressauter ma lèvre supérieure. Mon cœur accéléra lorsqu'il esquissa un sourire, visiblement amusé par ma réaction. C'est plus que je ne pus en supporter.

Tandis qu'il annonça l'arrivée du cœur artificiel à une foule en délire, je fis le choix de sortir d'ici au plus vite.

- Tu vas où ? Le cœur arrive ! me sermonna Gab.

- Je ne me sens pas très bien je préfère sortir. Je t'attendrai dans la voiture.

Une fois de plus, tout le monde s'était levé pour acclamer la prouesse de technologie médicale de Charles Potens alors que je me faufilais pour rejoindre la porte située tout en haut de l'amphithéâtre afin de quitter cet endroit. J'avais bien vu la stupeur dans les yeux des personnes présentes de me voir quitter la pièce au moment même où le cœur artificiel faisait son entrée, mais vraiment il fallait que je sorte.

La panique s'était emparée de moi, mon corps m'avait trahi, il m'avait fait défaut et je n'étais pas prête de lui pardonner. Je reprenais mon souffle à l'extérieur, toujours pas débarrassée de la voix de Charles Potens qui sortait des enceintes disposées aux pieds des écrans géants. Je fis le choix de me rendre directement jusqu'à la voiture.

Durant tout le chemin qui me séparait de ma quatre roues, je luttais pour faire cesser les tremblements de mes jambes. Une fois dans l'habitacle, je mis le contact pour lancer l'autoradio et réglai le son aussi fort que je le pus pour faire cesser sa voix envoûtante dans ma tête.

Ma réaction me surprit terriblement. Il était clair que j'avais ressenti une irrésistible attraction pour ce type, pire, du désir. Si mon corps semblait s'être libéré de ses chaînes pour cette fois, ma tête refusait de faire le reste et d'admettre que je m'étais imaginée dans ses bras ne serait-ce qu'une seconde. Le fait que je puisse imaginer mon corps être capable de trahir mon moi profond me plongea dans un état d'impuissance inadmissible et intolérable. Ça suffisait bien pour ce soir les conneries, je voulais rentrer chez moi.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now