Chapitre 14

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Ça avait au moins le mérite d'être clair. C'est ce qui était bien avec lui, pas besoin de demander quoi que ce soit, il savait ce qu'il avait à faire. Un peu trop même. Charles Potens avait la carrure rassurante et protectrice dont une femme comme moi avait besoin aujourd'hui, mais des bras dans lesquels je ne m'imaginai pas me lover. Tout en lui, ou presque, me faisait vibrer, mais il y avait cette barrière de sécurité psychologique, invisible et puissante à la fois, que pour le moment je n'arrivais pas à franchir. Peu importe, la question ne se posait absolument pas.

Je sortis enfin des toilettes et découvris Robin adossé au mur à côté de la porte, en train de lancer des clins d'œil suggestifs à une fille pas très farouche à l'autre bout de la pièce. J'aurais très bien pu faire une scène et me servir de ce faux pat pour quitter le bar sans lui, mais je devais attendre l'arrivée de Charles et Dieu sait ce que j'en avais envie, bien que l'avouer me tue. Et puis, pas certaine qu'il apprécie de s'être déplacé pour rien !

Je devais forcer l'espèce de crétin qui m'accompagnait ce soir, au moins le temps que mon sauveur se pointe. Ce ne fut pas difficile et je n'eus besoin de rien d'autre que d'un large sourire, niais au possible.

- Finalement, je resterai bien encore un peu. Ça te dit de boire un dernier verre ? lui proposai-je en jouant de mes charmes.

- Ouais, bien sûr !

Vingt minutes plus tard, je l'écoutais encore faire son monologue quand ma vision panoramique de la pièce me permit de voir arriver Charles Potens. Le contraste était saisissant. On aurait dit qu'un ange venait de faire son entrée dans un vieux rade pourri rempli d'ivrogne. Il avait une classe que personne n'avait, une prestance inouïe qui enlaidissait tous ceux qui se trouvaient à moins de trois mètres de lui.

Sur le pas de la porte, s'écartant pour laisser passer le serveur, il scrutait avec attention chaque millimètre carré de la pièce. Ses sourcils se fronçaient d'impatience, d'agacement. Était-il nerveux ? On aurait dit que oui. Lorsque son regard croisa enfin le mien, je ne pus réprimer un sourire timide. J'ai baissé les yeux, trop intimidée par l'idée qu'il ait fait tout ce chemin pour moi.

En moins de deux secondes, il se retrouva à notre table. Il portait un grand manteau noir, droit et impeccable dont le col était remonté de manière très stricte et sentait divinement bon la praline. Quel homme sentait ça à part Charles Potens. Je décidai de l'aider un peu et de jouer les étonnés. Je n'avais pas la moindre idée de comment il avait l'intention de me tirer de ce bourbier, mais s'il voulait, il pouvait se contenter d'être là et de me laisser faire le reste. Je trouverai bien un bobard qui tienne la route et, au mieux, peut-être que Robin s'éclipsera de lui-même devant le charisme imbattable de Charles.

- Hey ! l'accueillis-je avec un peu plus d'entrain qu'il n'en aurait fallu pour que mon intervention reste crédible.

Robin toisa l'adversaire d'un œil désintéressé comme s'il ne faisait pas le poids. Pourtant, son manque d'assurance était flagrant. Il ne lui avait pas fallu plus d'une demi-seconde pour perdre tout intérêt et tout charme face à notre visiteur.

Charles plongea un regard empli de dédain sur Robin, lui faisant bien comprendre qu'il s'attardait sur un terrain qui n'était pas fait pour lui. Il prenait peut-être son rôle un peu trop à cœur. La haine qu'il avait pour l'homme assit en face de moi crevait les yeux.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demandai-je pour briser la glace et obliger Charles à se concentrer sur moi.

- Tu te fous de moi ? gronda Charles sans prendre la peine de parler à voix basse.

Son intonation me laissa pantoise et je vis de nombreuses personnes présentes dans le bar se tourner dans notre direction. Je devins aussi rouge que ma gêne me le permit et tentais de garder la face et de me la jouer décontractée.

- Charles, ne parle pas si fort tout le monde nous entend, le suppliai-je sous les yeux éberlués de Robin qui s'écrasait de minutes en minutes dans sa chaise.

- Alors comme ça tu es chez une copine ? continua-t-il sur le même ton.

- Hein ?

Cette fois, tout le monde nous observait.

- On peut savoir ce que tu fais avec ce type ?

OK, je commençais à comprendre. Pas sûre que la technique me plaise car elle m'affichait devant une foule d'inconnu aguichée par les scandales et les drames publics. Je tentais bien de lui faire baisser le son de notre petite scène, mais il n'y avait rien à faire, Charles Potens avait l'art du théâtre dans le sang et ne renoncera visiblement pas à une petite représentation improvisée. J'allais devoir faire avec.

- Je t'en pris arrête de hurler, le suppliai-je réellement sans pour autant donner l'air de dénoter dans sa petite scène.

Robin, se leva de sa chaise, aussi sûr de lui qu'un insecte qu'on était sur le point d'écraser ou de cramer avec le faisceau lumineux d'une loupe. Charles l'avait dans le viseur et il ne voulait pas être la prochaine cible.

- Toi, fous le camp ! lui ordonna Charles.

Le pauvre voulut soutenir son regard quelques secondes, juste histoire de ne pas perdre la face, mais ne tint pas bon très longtemps. Il baissa rapidement les yeux et, s'il avait été un loup dans une meute, il se serait sans doute aplati sur le sol, les oreilles ramenées en arrière à pousser de petits cris plaintifs tandis qu'il se soumettait à la supériorité de l'alpha. Incontestablement, Charles Potens était l'alpha.

Robin ne traîna pas plus longtemps dans les parages et ne se priva pas de nous adresser un dernier petit message avant de s'éclipser.

- Bande de tarés !

Il ne faisait pas preuve d'un grand courage car il avait déjà bien fait trois ou quatre pas quand il se crut obligé de nous insulter. Tout ce qui l'intéressait, c'était d'avoir le dernier mot, peu importait finalement que son intervention soit ridicule ou non.

Il s'éloigna rapidement, se frayant un chemin à travers la foule éberluée qui nous épiait encore et chuchotait déjà ses ragots, les égrainant de tables en tables. J'étais très mal à l'aise avec ce jeu car, dans l'histoire, c'est moi qui jouais le rôle de la méchante. Mon Dieu, mais qui oserait sincèrement tromper un homme comme lui ? 

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now