Chapitre 51

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Dans la voiture conduite par Paul qui nous menait à l'Université, je montrai mon mécontentement avec force grâce à un mutisme total. Depuis que Charles avait quitté la cuisine sans me laisser le choix ou non de reprendre les cours, j'étais en colère. Je me concentrai vaguement sur le paysage à travers la fenêtre pour éviter du mieux possible son regard. Je n'avais pas envie de céder face à son sourire ravageur. Quand il faisait ça, je ne pouvais rien lui refuser.

Au bout d'un moment, il se racla la gorge et tenta une approche plutôt timide.

- À quelle heure commencent tes cours ?

Je ne répondis pas, me contentant de bouder comme une fillette. Au fond, je savais bien que j'avais tort d'agir comme je le faisais, mais c'était plus fort que moi. Voilà à peine quelques jours que je commençais à savoir ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. C'est mon histoire avec Charles qui me faisait enfin prendre ma vie en main.

- Très bien, je vais appeler ton secrétariat, souffla-t-il en sortant son téléphone de sa poche.

- Ne fais pas ça, protestai-je en me tournant vers lui sachant très bien qu'il en était capable.

- Comme tu voudras, à quelle heure commence ton premier cours donc ? insista-t-il très protecteur.

- Pas avant dix heures et demie !

- Ne fais pas l'enfant.

- Ce n'est pas le cas ! m'agaçai-je.

- Je ne comprends pas ! Tu es très douée dans ce que tu fais pourquoi tu ne veux plus continuer les cours ?

- Parce que ça n'a pas de sens pour moi.

- Tu as attendu aussi longtemps dans tes études pour te rendre compte que ce n'était pas pour toi ? Tu m'expliques ?

Il semblait réellement vouloir comprendre mon point de vue, mais comment lui expliquer ?

- Plus je me rapproche du but et plus j'ai peur de ce que je pourrais devenir.

- En règle générale quand on se lance dans ce genre d'études c'est que l'on veut devenir avocat ou bien encore juge, récita-t-il en cherchant d'autres exemples.

- Justement, le coupai-je. Je ne veux pas devenir avocate et prendre un jour le risque de devoir défendre un monstre.

- Qu'est ce qui te fait croire que ce sera le cas ? s'étonna-t-il.

- Parce que les Hommes sont vicieux et prêts à tout pour dissimuler leurs crimes, même pourquoi pas mentir à leur avocat. Je ne veux pas prendre le risque d'aider l'un d'eux.

Après un bref regard en direction de Charles, je le sentis perturbé. Visiblement, il ne s'était pas attendu à une telle réponse. Il ne sut quoi ajouter.

- Tu finiras ton année quoi qu'il en soit et après nous aviserons, secoua-t-il la tête, désarçonné. Est-ce que ce compromis te convient ?

Je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas faire d'efforts. Même si je n'avais pas obtenu ma libération sans conditions, j'avais au moins eu le droit à une possible remise de peine.

- Comme tes cours ne commencent pas tout de suite que dirais-tu de venir avec moi ?

- Où ça ?

- À l'un des miens !

- Je ne sais pas, hésitai-je. Es-tu sûr que c'est une bonne idée ?

- Il est hors de question que tu traînes sur le campus avec tes béquilles.

- Tu peux me déposer à la bibliothèque, ça ira très bien comme ça.

- Non ! trancha-t-il en tournant la tête en direction de la route comme si la discussion était close. Tu vas venir avec moi.

Sa détermination me fit rire et je ne pus m'empêcher de lui montrer que j'étais amusée.

- Par contre je terminerai tard. Paul passera te chercher à l'heure qui te conviendra.

- Très bien ! acceptai-je sans rechigner. Tu as beaucoup de travail je suppose !

Il tourna vers moi ses magnifiques yeux brillants et laissa planer un silence qui ne confirma en rien qu'il avait effectivement du travail. Il m'observa sans bruit, cherchant quoi dire. Et, soudainement, comme un éclair traversant toutes les fibres de mon corps jusqu'à mes neurones, je compris la signification de ce silence volontairement appuyé.

- Oh, je vois, balbutiai-je.

Mon homme avait l'intention de prendre un peu de bon temps.

- Je suis toujours libre n'est-ce pas ? Sauf si tu as changé d'avis sur nos rapports ? me demanda-t-il en chuchotant pour ne pas obliger Paul à se sentir mal à l'aise d'être témoin d'une telle conversation.

- Non, bien sûr que non, m'empressai-je de répondre totalement désarçonnée.

- Très bien, dans ce cas, je serais là pour le dîner, conclut-il en plongeant sur son téléphone portable pour lire ses mails.

Mes sentiments n'avaient jamais été aussi divergents de toute ma vie. J'étais vexée, en colère, jalouse, mais en même temps soulagée qu'il déverse ses pulsions sur quelqu'un d'autre que moi. J'avais envie de hurler en pensant à la fille qui aurait la chance de subir ses assauts, de connaître sa passion, alors que je devais bien malgré moi me contenter du Charles possessif et distant. J'avais parfaitement conscience de vivre une vie de bipolaire. Un matin, heureuse de ne pas être sa cible et l'autre dévastée de ne pas être la seule femme dans sa vie. Je ne savais pas l'aimer comme il le méritait. Je commençai à peine à comprendre de quelle manière Charles prouvait son amour. Il avait besoin de cette chaleur enivrante, de ce corps à corps charnel et physique pour aimer. Alors que moi, j'avais besoin de ne pas sentir le poids de mon partenaire se refermer sur moi pour me sentir libre d'aimer, sans peur, sans conditions, sans souvenirs écrasants.

Je notais cela dans un coin de ma tête et me promis d'aborder le sujet avec ma psychologue. Peut-être que si je lui parlais un peu de Charles tel que je le connaissais, et non tel que les tabloïds le définissaient, j'aurais son avis objectif sur le personnage.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now