Chapitre 43

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La nuit fut pénible pour moi. Je ne fis que rêver de Charles m'annonçant qu'il ne voulait plus de moi, me disant les pires horreurs, me rejetant avec conviction. Dans mes rêves, je hurlais de désespoirs pour ne pas qu'il m'abandonne, je le suppliais de rester et pleurais toutes les larmes de mon corps. Je me surpris à somnoler à certains moments, à geindre et à sentir couler de véritables larmes le long de ma joue. À mon réveil, je pris conscience que c'est réellement ce que je ressentirais s'il devait m'oublier.

La première chose que je fis, les yeux gonflés et rougis, ce fut d'empoigner mon téléphone portable pour voir si je n'avais pas des nouvelles de mon petit ami. Malheureusement, il n'y avait rien et ce ne fut pas les 10 h 15 qu'affichait mon réveil qui me rassura. En temps normal, il m'aurait déjà donné ses directives, dit à quelle heure Paul viendrait me chercher, ce que nous ferions de notre journée, bref, il aurait déjà tout planifié, grand impatient qu'il était.

J'avais espéré que notre soirée ne s'était pas si mal passée, qu'à mon réveil, et au sien, tout cela se serait apaisé. Au pire, je m'étais imaginé qu'il m'enverrait un message du genre "Il faut qu'on parle ! Paul va venir te chercher.", mais rien.

Au début de notre histoire, j'avais mis le holà sur pas mal de points, je m'étais montrée distante, exigeante et mesurée dans mon affection. J'avais toujours fait comme si mon comportement était normal, que c'était aux autres de s'adapter à moi car c'était moi la femme meurtrie et blessée. Cependant, je demandai à Charles d'être patient, de comprendre et de laisser faire le temps sans lui donner aucune explication en retour. J'avais conscience de l'image très coincée et autoritaire que je renvoyai à présent.

Aujourd'hui, c'était à son tour de faire comme si notre couple n'avait pas d'importance à ses yeux et j'en étais écœurée. Maintenant, c'était moi qui recherchais son affection à tout prix. Je voulais qu'il soit heureux d'être avec moi, qu'il s'emporte quand je ne lui répondais pas tout de suite, qu'il me cherche dans toute la ville quand il ne savait pas où j'étais, qu'il soit jaloux, qu'il me désire... Il avait fallu qu'il se désintéresse de moi pour que je comprenne enfin ça.

Assise au fond de mon lit, je ne pus attendre plus longtemps qu'il ne me réponde et l'appelai. Une fois, deux fois, trois fois... Je n'obtins pas de réponse de toute la matinée. C'est en vrai zombie que je passai la journée à déambuler chez moi. J'étais dans un tel état de manque de confiance et de remise en question que je ne fus capable de rien. Je tentai de m'occuper pour ne pas devenir folle. Je pris la douche la plus longue et la plus douloureuse que je n'eus jamais prise depuis un moment, je fis nerveusement le ménage et je fis mes devoirs à rendre pour la semaine prochaine. Même ce pauvre Squeezy n'y échappa pas. Il eut le droit à une bonne demi-heure de brossage intensif pour démêler les paquets de nœuds dans ses poils.

Vers une heure et demie, tournoyant comme un lion en cage, le téléphone nouvellement visé dans ma main droite, je fis une dernière tentative, après quoi je prendrais la décision de me rendre sur place. Il décrocha presque à la première sonnerie, me prenant de court.

- Oui ? répondit la voix monotone de Charles à l'autre bout du téléphone.

- Hey ! le saluai-je doucement ne sachant plus ce que je devais dire.

Pourtant, depuis ce matin, j'avais eu le temps de préparer mon monologue. J'avais imaginé mot pour mot ce que j'allais lui dire, mais en entendant sa voix, pas franchement ravie de m'avoir au téléphone, je perdis toute confiance en moi et mon beau discours se volatilisa dans les méandres de mon cerveau.

- Je pensai que tu dormais encore ! Tu ne m'as pas écrit ! lui fis-je remarquer la voix emplie de peine.

J'avais voulu paraître forte, mais il n'y avait rien à faire, il était dit que rien ne se passerait comme je l'avais décidé.

- Si tu pensais que je dormais pourquoi tu m'appelles ? gronda-t-il.

- Je suis juste étonnée que tu ne m'aies pas encore écrit, c'est tout.

- Margaret, je travaille.

- D'habitude ça ne t'empêche pas de m'écrire ! lui fis-je remarquer.

Il resta muet. J'estimai avoir attendu sa réponse suffisamment longtemps et explosai.

- OK qu'est-ce qui ne va pas ? Tout ça c'est parce que je n'ai pas voulu venir chez toi hier soir ?

- J'en ai assez de ton petit jeu, claqua-t-il. Je ne suis pas l'homme qu'il te faut. Cherche-toi un adolescent à faire tourner en bourrique moi je n'ai pas le temps pour ces choses-là.

- Ça va pas ! Pourquoi tu me dis ces horreurs ?

- Je n'ai pas dormi chez moi hier soir, lâcha-t-il en guise d'explication aussi calmement que s'il m'avait dit qu'il avait mangé une glace.

- Non tu plaisantes ? m'offusquai-je la voix pleine de dégoût. C'est la fille du trottoir ?

- Elle même ! acquiesça-t-il tranquillement sans le moindre remord dans la voix.

- Tu ne dois pas beaucoup m'aimer si tu es capable de me tromper avec la première pétasse que tu croises sur le trottoir, crachai-je.

- À vrai dire non !

- Quoi non ?

- Je ne t'aime pas et je pense que nous ne sommes pas faits pour être ensemble.

- Va-t-on se renvoyer la balle encore longtemps comme ça ? Combien de temps va-t-on jouer à "je t'aime moi non plus " ?

J'avais de plus en plus de mal à ne pas faire entendre la grosse boule qui m'obstruait la trachée, me faisait trembloter la voix et me serrait la gorge.

- Ne pleure pas, me pria Charles. Je suis comme ça, tu n'y peux rien. Tu ne peux pas m'apporter ce que je veux et je ne veux pas te faire souffrir. Tu n'arriveras pas à me changer alors il vaut mieux qu'on en reste là. Je suis sûr que tu trouveras quelqu'un qui est dans le même délire que toi. Au revoir Margaret.

Ma voix se perdit pour de bon quand il raccrocha. C'est tout ? Alors notre histoire s'arrête là ? Avais-je été si impénétrable pour lui ? M'étais-je montrée si froide qu'il ne puisse envisager de me faire changer de comportement ?

Je me mis à imaginer ma vie à nouveau sans lui et un immense vide se creusa dans ma poitrine. Non, ce n'était pas possible parce que ... Je l'aimais. Oh mon Dieu oui, je l'aimais. Je ne m'imaginais pas une seule minute dans un monde où il ne ferait pas partie de ma vie. J'avais besoin de ses bras protecteurs et de son drôle de caractère. Je suffoquais et paniquais à la seule idée de ne plus jamais sentir l'odeur de sa peau, de ne plus entendre le son de sa voix. Dans mon cœur, il était comme un fantôme dont l'image s'estompe en même temps que les années filent. Je voulais entretenir cette vision de lui tous les jours, ne jamais avoir à oublier le grain de sa peau, les trous dans ses baskets, la force de ses mains quand il me plaquait contre lui.

Charles Potens venait de me quitter... Je ne faisais plus partie de son monde, je n'étais plus qu'un nom sur une liste. Juste un nom de plus alors que je voulais que lui reste aussi vivant qu'au premier jour dans mon esprit. Le sens qu'il avait donné à mon existence ces derniers jours n'était pas dû au hasard. Je l'aimais certainement plus que n'importe qui. Il m'avait bousculé, éjectée hors de ma zone de confort. J'avais détesté ça, mais c'était la raison première pour laquelle je l'aimais justement.

Après l'abattement, où je m'imaginai la dureté d'un monde sans lui, vint la colère. Je refusai d'être un numéro de plus pour lui. Je comptais bien me battre pour qu'il admette qu'à ses yeux j'étais aussi exceptionnelle qu'il l'était aux miens. Je ne pris pas le temps de pleurer et allais chercher mes clés de voiture. Je n'avais pas la moindre idée du temps qu'il faisait dehors et mes priorités étaient toutes autres. Je ne parvenais plus à être triste ou dévastée, trop occupé avec le déni qui s'emparait de moi en cet instant. Charles ne pouvait pas me quitter, ça allait s'arranger.

Il avait peut-être raison. Je ne pouvais sans doute pas lui apporter ce dont il semblait tant avoir besoin, mais je pouvais lui apporter bien plus que ça. Je sortis de mon appartement sans prendre mon sac avec mes papiers à l'intérieur ni verrouiller la porte de mon appartement.

Je dévalais les escaliers quatre à quatre, me jetant à travers la porte d'entrée de mon immeuble à la vitesse de l'éclaire. Je fus si rapide que je ne sentis même pas les gouttes de pluie s'infiltrer dans mon cou. Ce ne fut qu'une fois à l'abri de l'habitacle que je me rendis compte de la pluie s'écrasant contre mon pare-brise.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now