Chapitre 66

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Dans la voiture qui nous conduisait jusqu'à la fac ce jeudi matin, l'ambiance était au calme et au silence. Assis côte à côte à sur la banquette arrière, Charles et moi nous laissions bercer par le ronronnement du moteur, des klaxons alentour et des immeubles qui défilaient sous nos yeux. Seule avec mes pensées, je me fis mille réflexions. Il y avait si peu de temps, j'allais à la faculté avec ma propre voiture, je vivais dans un appartement certes petit, mais avant tout cosy et dans lequel je me sentais bien. Je mangeais la nourriture que j'avais préparée et me jetais à corps perdu dans des études qui comblaient l'espace vide de mes journées pour ne surtout pas avoir à penser. Aujourd'hui, je me déplaçais tous les matins avec chauffeur, je vivais dans un manoir avec un homme un peu plus ambigu chaque jour, qui partait puis revenait sans prévenir, à la fois doux et dur, et la seule chose dont j'avais envie pour combler mes journées c'était de lui.

J'avais le sentiment profond d'être folle, suicidaire ou encore schizophrène d'aimer la seule chose dont j'avais peur, à laquelle je ne pouvais pour le moment pas me vouer corps et âme. Je savais très bien que nos difficultés à être totalement en accord lui et moi étaient en partie de ma faute, mais j'avais aussi conscience de ne pas être la seule fautive. D'ailleurs, une fois de plus, l'intéressé se muait dans le silence pour ne pas avoir à exprimer ce qu'il ressentait.

Rares avaient été les fois où j'avais pu déceler autre chose que de la jalousie et de la colère chez Charles. Seules les émotions négatives avaient leur place chez lui. Il était d'une pudeur comme je n'en avais encore jamais vu, un homme secret et énigmatique.

Paul gara la voiture devant ma faculté et je sortis la première, persuadée que Charles allait m'emboîter le pas et même me conduire jusqu'à la porte de mon amphithéâtre, lui qui ne me lâchait jamais d'une semelle. Au lieu de ça, il resta assis à l'intérieur, bien à l'abri des regards qui commençaient à s'accumuler tout autour de moi, interpellé par la belle voiture aux vitres teintées qui, pour une fois, ne s'arrêtait pas devant la fac de médecine. Ne voyant aucune réaction de la part de Charles, et comme le moteur tournait toujours, je compris qu'il n'avait pas l'intention de descendre ici. Il avait déjà donné ses directives à Paul avant de partir. Je me penchais dans l'habitacle pour capter le regard de mon homme et il m'offrit enfin son attention.

- Je passe te chercher à quinze heures à la fin de tes cours, dit-il avec une assurance qui ne laissait pas de place à autre chose qu'à un accord de ma part.

C'était bien mal me connaître. J'avais par ailleurs d'autres projets. D'ordinaire, Charles n'était jamais libre avant vingt heures et là, allez savoir pourquoi, il s'était libéré juste le jour où j'avais besoin de temps libre pour me rendre à mon rendez-vous hebdomadaire chez ma psychologue. J'avais compté sur son infatigable goût du travail pour pouvoir m'y rendre sans avoir à lui sortir d'excuses bidon, mais là je n'avais pas le choix.

- Comment sais-tu que je termine mes cours à quinze heures ? m'étonnais-je car je ne me souvenais pas le lui avoir dit.

- J'ai appelé le secrétariat de ta fac pour connaître ton emploi du temps. Attends-moi devant je passerais te chercher avec Paul.

Ce genre de comportement ne m'impressionnait même plus. Je l'imaginais très bien en train de fouiner dans chacun des aspects de ma vie alors qu'il irait beaucoup plus vite et qu'il serait surtout plus sain de me poser la question directement. Malheureusement pour lui, cela impliquait de discuter avec moi et, à part pour nous disputer, Charles et moi n'étions pas très loquaces.

- Ce n'est pas possible, renchéris-je la gorge sèche à l'idée de mentir et de me faire démasquer. Je dois travailler avec Gontran après. On a pas mal de retard à cause de ta petite intervention d'hier.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now