Chapitre 54

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J'appelais Paul après ma dernière heure de cours et il vint me chercher comme prévu. J'avais hâte de rentrer et d'envoyer au diable ses fichues béquilles qui m'avaient handicapées bien plus que ma cheville toute la journée. Je trouvais toujours aussi étrange de se faire conduire par quelqu'un, comme si j'étais une personnalité importante, mais en même temps, je n'avais pas vraiment le choix. J'eus de nouveau le droit à de nombreux regards désapprobateurs quand Paul sortit de la voiture pour m'ouvrir la portière.

Je dormis dura le trajet, bercée par le silence religieux adopté par mon conducteur. Une fois arrivée à destination, je m'éveillais comme par magie. Je soupçonnais Paul de s'être bruyamment raclé la gorge pour ne pas me faire l'affront d'avoir remarqué que je m'étais assoupie. Pourvu que je n'aie pas dormi la bouche grande ouverte, ou pire que j'ai ronflé.

Je passai le perron et Paul s'empressa de me débarrasser de mon sac à dos, l'emportant avec lui dans les méandres du manoir.

- Paul, il est inutile de me prendre mon sac ! protestai-je alors qu'il avait déjà disparu. Paul !

Je jetai mes deux cannes dans l'entrée, déambulai jusqu'au salon et me laissai tomber sur le canapé, le poids de mon corps me faisant disparaître sous la profusion de coussins. J'ôtai mon unique chaussure et me reposai quelques secondes, encore toute endormie par ma sieste du trajet. Je réfléchissais déjà ce que j'allais bien pouvoir trouver à faire pour me passer le temps avant le retour de Charles. Je pouvais aller faire quelques recherches internet pour mon exposé près de la mare, aider Paul à préparer le dîner de ce soir, profiter du calme pour lire un livre, et que sais-je encore.

- Désirez-vous un thé Mademoiselle ? me demanda Paul.

- Oh oui ! S'il vous plaît, ce serait parfait.

- Dure journée ?

- Je ne saurais pas vraiment le dire. Où se trouve Squeezy ?

- Ne vous inquiétez pas, j'ai pris grand soin de ce petit chenapan durant toute la journée.

- J'espère qu'il ne vous dérange pas trop, m'enquis-je en me redressant.

- Pas le moins du monde, il est adorable ! Il s'est endormi dans votre chambre après une partie de cache-cache avec sa propre queue.

- Fantastique ! clamai-je avant de me rallonger sur le canapé.

- Je vous apporte votre thé dans une minute.

Paul m'emmena effectivement mon thé quelques minutes plus tard, toujours aussi parfait que d'habitude, avec ses notes fleuries d'une subtilité déconcertante. Je le bus en ne pensant à rien d'autre qu'à l'amour. Depuis la nuit des temps, cette notion divisait l'Homme en un nombre indécent de catégories. Certains s'aiment avec la simplicité de deux enfants, comme une évidence, d'autres luttent chaque jour pour que leur histoire d'amour puisse continuer bien que rien ne semble les rapprocher. Il y a ceux qui s'aiment tellement qu'ils ne peuvent s'empêcher de se détruire mutuellement. Dans ce cas-là, si l'amour ensemble paraît si impossible, alors les deux protagonistes font tout ce qui est en leur pouvoir pour que l'autre ne soit jamais heureux sans eux. Et puis, à mon sens, il y a ceux qui pensent savoir ce qu'est l'amour, mais qui ne le sauront jamais car ils ne vivront rien d'assez intense pour s'en rendre compte.

Ces pensées me plongèrent dans une certaine nostalgie. En matière d'amour, on avait beau penser tout savoir sur le sujet, chaque histoire possède ses propres codes, ses propres règles et il n'y a rien que l'on puisse faire pour changer cela. Tout à coup, je savais exactement ce que j'avais envie de faire. Je n'avais pas la tête à me poser mille questions sur Charles et ce qu'il était en train de faire. Je ne voulais pas passer toute la soirée à l'imaginer dans les bras d'une autre en attendant qu'il franchisse le seuil de la maison. J'avais l'intention de me choisir un bon vieux livre, relatant une histoire d'amour passionnelle aussi simple qu'évidente et de me glisser dans un bain...

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now